Des maisons à démolir à Bamako pendant l’hivernage : L’impunité administrative, une injustice de plus

Pourquoi seuls les propriétaires sont-ils pointés du doigt, alors que les documents d’attribution portent les sceaux des services de l’Etat ?
Les vrais responsables, eux, restent dans l’ombre. Aucun agent public, aucun maire, aucun préfet n’a jamais été sanctionné pour la délivrance illégale de documents de propriété. L’impunité administrative est totale.
La nouvelle est tombée comme un couperet pour des centaines de familles à Bamako : leurs maisons, pourtant érigées légalement et parfois évaluées à plusieurs dizaines de millions de F CFA, sont aujourd’hui menacées de démolition. En cause ? Leur implantation dans le lit naturel des marigots, zones inondables selon les autorités. Mais au-delà des bulldozers qui s’annoncent, une question brûlante divise l’opinion : pourquoi seuls les propriétaires sont-ils pointés du doigt, alors que les documents d’attribution portent les sceaux des services de l’Etat ?
Depuis l’annonce de l’opération de démolition, plusieurs chefs de familles habitants le long des marigots à Bamako font des nuits blanches. Des témoignages affluents. « J’ai acheté mon terrain à 18 millions de F CFA en 2013. J’ai construit ma maison en bonne et due forme. J’ai un titre de propriété signé par le service des domaines », explique B.D, chef de famille. Aujourd’hui, il dort dans l’angoisse d’un déguerpissement.
Comme lui, des centaines de Bamakois ont investi leurs économies dans des habitations légalement attribuées, souvent avec l’aval d’un maire, d’un sous-préfet, d’un préfet. Pourtant, les autorités centrales parlent désormais d’« occupation illégale du domaine public hydraulique », et ordonnent la libération immédiate des zones concernées.
Des autorités responsables, mais jamais inquiétées ?
Pour de nombreux observateurs, il est inadmissible que seule la population paie le prix de cette situation. « Ce que nous vivons, c’est le résultat d’un dysfonctionnement institutionnel grave. Où sont passés le contrôle de légalité, les vérifications cadastrales ? Qui a signé les autorisations ? », s’interroge une avocate.
En effet, chaque permis d’occuper délivré l’est au nom de l’administration. Comment se fait-il que des services étatiques, censés veiller à la conformité des zones urbanisables, aient laissé construire dans des lits de marigots connus pour être inondables à la moindre pluie forte ?
Aucune annonce officielle n’a pour l’instant mentionné de sanctions contre les agents ou autorités ayant signé les documents fonciers litigieux. Ni suspension, ni enquête administrative n’a été enclenchée, du moins publiquement. Cette impunité présumée irrite les victimes.
« On nous demande de casser nos maisons, de déguerpir, et personne ne parle de la responsabilité du maire ou du service des domaines qui ont perçu de l’argent pour ces titres. C’est une insulte à la justice et à l’équité », fustige Aminata Traoré, Mère de famille.
« Pourquoi c’est toujours le pauvre citoyen qui porte le chapeau ? Et ceux qui ont encaissé notre argent et apposé leur signature ? Où sont-ils aujourd’hui ? », interroge une habitante de Missabougou.
Un agent municipal rencontré sous anonymat reconnaît : « Oui, certains titres ont été signés malgré les risques. Mais la pression foncière est telle à Bamako que beaucoup de terrains sont attribués sans étude approfondie. C’est un problème de gouvernance à plusieurs niveaux ».
Des voix s’élèvent pour demander l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante et situer les responsabilités administratives. Certains juristes évoquent même la possibilité de poursuites judiciaires pour « complicité d’occupation illégale » ou « mise en danger de la vie d’autrui » contre les agents fautifs.
Contactée pour recueillir sa version, la Direction nationale de l’urbanisme n’a pas souhaité commenter. A la mairie de la Commune VI, un responsable local a affirmé que « les instructions viennent d’en haut, et nous n’avons pas le pouvoir d’y opposer une résistance ».
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce qui choque le plus ces familles, ce n’est pas seulement la perspective de perdre leur logement. C’est le fait d’avoir été, selon eux, légalement installés par des autorités aujourd’hui silencieuses.
Djibril Diallo