FiCS 2022 : le gotha mondial des banques de développement en Afrique pour cimenter sa place face aux enjeux climatiques (*)
Pour la première fois depuis le lancement du Sommet Finance en Commun (FiCS), les banques publiques de développement du monde se retrouvent en présentiel et en terre africaine, à Abidjan, du 18 au 20 octobre. Objectif : approfondir leur réponse au très stratégique défi du financement climatique.
Avec plus de 23 700 milliards de dollars d’actifs et 2 700 milliards de dollars de nouveaux financements en 2022 -soit 12% des investissements mondiaux, les 522 banques publiques de développement (BPD) d’Europe, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et du Pacifique veulent renforcer leur rôle dans le financement climatique, surtout en matière d’adaptation. Tel est le principal motif de leur rassemblement à Abidjan du 18 au 20 octobre dans le cadre de la troisième édition du Sommet Finance en commun (FiCS) placée sous le thème : « une transition verte et juste pour une reprise durable ».
Co-organisée par la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque européenne d’investissement (BEI), cette messe financière ouverte par le Premier ministre de Côte d’Ivoire Patrick Achi, prend la forme d’un plaidoyer pour le remodelage de l’architecture financière mondiale de manière répondre efficacement à l’urgence climatique, dans les pays en développement dont ceux d’Afrique.
Le « rôle central » des BPD dans la transition climatique
« Le défi du changement climatique fait courir des risques existentiels à notre monde commun et à nos objectifs pour un monde meilleur. […] Il reste encore beaucoup à faire pour combler le déficit de financement en faveur du climat », a déclaré Akinwumi Adesina, président de la BAD, soulignant le « rôle central » des BPD dans cette démarche. « Il nous faut mettre en commun nos ressources afin d’être en mesure d’affronter les défis actuels », a interpellé pour sa part Werner Hoyer, président de la BEI.
La planète est en effet confrontée à une équation à trois inconnues, entre le challenge de la relance économique post-Covid, les effets collatéraux de la guerre en Ukraine et l’urgence climatique dans un contexte d’accentuation progressive des dérèglements. L’Afrique, bien qu’étant la région la plus faible émettrice de gaz à effet de serre, en subit lourdement les conséquences. Les pertes découlant de ces perturbations se situeraient annuellement entre 7 et 15 milliards de dollars et devraient grimper à 50 milliards de dollars par an d’ici 2035, selon les données de la BAD. Et à ce stade, selon la même source, les besoins en financements climatiques de l’Afrique sont estimés entre 1 300 à 1 600 milliards de dollars d’ici 2030. Et alors que toutes les parties prenantes à l’échelle mondiale et africaine tentent -chacune à sa manière et selon ses capacités- d’apporter sa pierre à l’édifice de l’adaptation climatique des pays, les banques publiques de développement cherchent les voies et moyens pour casser davantage leur tirelire et entraîner avec elles le secteur privé. A titre d’exemple, « Les BPD ont une véritable force de frappe pour booster l’agriculture respectueuse de l’environnement. Nous devons investir dans les petits exploitants et les PME », martèle Alvaro Lario, président du Fonds international de développement agricole.
Le bonus des IDFC
Président de l’initiative Finance en commun, Rémy Rioux -par ailleurs directeur général de l’Agence française de développement (AFD)- pense que l’action des banques de développement peut être amplifiée et accélérée via l’International Development Finance Club (IDFC). Il s’agit de la coalition internationale qui rassemble 27 banques de développement nationales, régionales et bilatérales, créée en 2011 pour qu’elles travaillent ensemble à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) et les agendas de l’Accord de Paris. Parmi elles : la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), la Banque de commerce et de développement d’Afrique de l’Est et australe, la Banque de développement d’Afrique du Sud ou encore la Caisse de dépôts et de gestion (CDG) du Maroc, pour ne citer les africaines.
En 2021, l’IDFC a augmenté de 20% en glissement annuel ses financements verts à 224 milliards de dollars. Un record. « Si toutes les BPD [au nombre de 522, NDLR] dédiaient 20 % de leurs engagements chaque année au financement vert, elles pourraient fournir plus de 500 milliards de dollars de financement climatique par an », estime Rioux, ajoutant que cela constituerait une contribution conséquente à la problématique financière, véritable nerf de la « guerre » climatique.
Les pays les plus vulnérables et la justice financière
Par ailleurs, la notion de justice dans le financement de la transition verte -qui revient d’ailleurs au centre de tous les débats sur le sujet- ne relève pas uniquement de la disponibilité des financements, mais surtout de la répartition équitable des financements disponibles. Neuf des dix pays les plus vulnérables aux changements climatiques au monde sont en Afrique subsaharienne selon l’indice de vulnérabilité climatique 2021. Il s’agit de la République centrafricaine, l’Erythrée, le Tchad, le Niger, le Libéria, la République démocratique du Congo, la Somalie et le Soudan.
Dans son dernier rapport économique cependant, la BAD relève un fait marquant : en Afrique, les pays les plus résilients sont les plus financés, au détriment des pays les plus vulnérables et les moins préparés aux changements climatiques. Interrogé sur cette problématique par LTA en conférence de presse, Finance en Commun entend prendre à bras le corps la problématique pour « partager la connaissance » avec les BPD de ces pays les plus vulnérables. Rémy Rioux remarque cependant leur niveau de pauvreté et établit un fait : « Parler de lutte contre les changements climatiques, c’est aussi parler de lutte contre la pauvreté. Il faut qu’on invente un nouveau cadre financier qui combine le climat et la pauvreté. C’est ce que nous essayons de faire, faire en sorte que les ressources financières parviennent aux banques et institutions de développement des pays vulnérables ».
« C’est également en répondre à cette problématique que nous insistons pour que les 100 milliards de dollars promis annuellement à l’Afrique par les pays développés soient sur la table, car nous avons un besoin pressant de financement concessionnel, mais nous également besoin de gérer le risque d’investissement qui est plus élevé dans ces pays très vulnérables et moins préparés aux changements climatiques », a pour sa part expliqué Akinwumi Adesina. Le patron de la BAD a en outre fait mention de « plusieurs actions concrètes menées dans ces pays » dont les divers déploiements financiers et les projets tels que le « Desert to Power » au Sahel. D’un coût prévisionnel de 20 milliards de dollars, ce projet qui devrait permettre d’éclairer 250 millions de personnes -avec l’implication de l’AFD- sera la plus grande zone solaire au monde.
Les alertes pré-COP 27
De nombreuses personnalités occupent l’estrade de cette messe du financement climatique par les BPD, qui sera clôturée ce 20 octobre à Abidjan. De la vice-secrétaire générale de l’ONU Amina J. Mohammed qui s’est exprimée en distanciel aux présidents des BPD africaines dont Serge Ekué de la BOAD ou Kampeta Pitchette Sayinzoga du Rwanda, la nécessité de renforcer le rôle des BDP dans le financement climatique était quasiment reprise en chœur.
Adama Mariko, Secrétaire général de Finance en Commun a exprimé, face aux journalistes, la volonté derrière l’initiative de « donner une voix commune à ces institutions (les BPD, NDLR) », alors que l’enjeu demeure autour du bien-être des populations et de la planète.
A deux semaines de la COP 27 qui se tiendra en Afrique dans la ville égyptienne de Charm el-Cheikh, les banques publiques de développement et leurs partenaires voient en ce Sommet d’Abidjan -le premier en présentiel et en terre africaine- l’opportunité d’avancer dans la mobilisation financière. « Si la COP 27 échouait, tous les acquis obtenus jusqu’à lors seraient perdus. Dans le monde, nous allons sentir une éventuelle non-adaptation de l’Afrique aux changements climatiques. L’heure est venue pour des résultats concrets en matière de financements de l’adaptation », alerte Patrick Verkooijen, CEO du Global Center for Adaptation.