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INVITÉ AFRIQUE Catherine Liousse: «Il y aurait un million de morts par an liés à la pollution de l’air aux microparticules» en Afrique

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La pollution de l’air s’est aggravée en 2022 en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. C’est ce qui ressort du dernier rapport que vient de publier la société suisse IQAir, spécialisée dans ce type de pollution. Avec des concentrations de particules fines allant jusqu’à 89,7 microgrammes par mètre cube, Ndjamena serait la ville où la qualité de l’air est la pire au monde.

Il existe plusieurs réseaux comme IQAir, tous les classements donnent des résultats différents mais tous font le même constat : la pollution de l’air des villes africaines est très préoccupante. Catherine Liousse est directrice de recherches au CNRS, au laboratoire d’aérologie de Toulouse. Elle se trouve à Abidjan en ce moment et répond aux questions de Carine Frenk.

RFI : Catherine Liousse, à en croire les résultats de ce rapport sur la pollution de l’air en Afrique, Ndjamena est la ville la plus touchée au monde par cette pollution aux microparticules, 17 fois plus que le seuil recommandé par l’OMS. C’est assez incroyable ?

Catherine Liousse : Les chiffres paraissent incroyables, mais moi, ça ne m’étonne pas au-delà, parce que je l’ai montré ailleurs. Sur toute l’Afrique de l’Ouest, alors là avec des capteurs bien calibrés, on a montré  que les concentrations en particules fines étaient 3 à 15 fois supérieures à la norme de l’OMS [Organisation mondiale de la santé]. On a fait des mesures à Bamako, là Bamako n’apparaît pas. Bamako a des concentrations aussi importantes qu’à Dakar, qu’à Ouagadougou. On a fait des mesures au Cameroun. On a fait des mesures dans plusieurs villes qui ont toutes dépassé de 3 à 15 les normes OMS. Et ce n’est pas comme en Europe des pics de pollution. Ce sont des pollutions qui sont constantes, c’est du long terme. Et ce, pour plusieurs raisons.

Quelles sont ces raisons ?

Déjà, nous avons une démographie galopante ces dernières années. Par exemple, si on regarde à Dakar, on a augmenté d’un million la population de Dakar de 2007 à 2017. Donc qui dit augmentation de la population dans les villes dit forcément activités anthropiques qui sont développées. Pour n’en citer que quelques-unes, il y a le trafic qui est incontrôlé. Il y a des feux domestiques avec le charbon de bois, le bois, etc. Il y a les déchets urbains qui représentent une grande source de pollution, qui sont brûlés. Il y a les industries. Cela fait un cocktail de pollution urbaine. Mais associées à ça, la plupart des villes africaines sont sous les vents finalement du désert et des particules qui arrivent du désert, pour tout ce qui est Afrique de l’Ouest et centrale, et qui viennent se rajouter à la pollution anthropique, associée à des conditions physico-chimiques de température et d’ensoleillement qu’on connait, tout cela fait un cocktail de polluants qui est très important pour l’Afrique.

On parle souvent des pots d’échappement, beaucoup moins de l’utilisation du charbon de bois dans les ménages. Ça, c’est un vrai problème ?

Le charbon de bois et le bois sont des grands émetteurs de particules, et de particules fines. Effectivement, ils contribuent beaucoup à la pollution intérieure par exemple, sachant qu’en plus, souvent les cuisines sont peu ou pas ventilées. Donc, les habitants, surtout les femmes, respirent cette pollution toute la journée et cela a des conséquences sanitaires importantes.

Justement, avec de tels dépassements, que faut-il craindre pour la santé des habitants ?

Les particules fines pénètrent dans l’appareil respiratoire et elles vont donc avoir des impacts sur l’inflammation des cellules, et ensuite conduire vers des maladies. Nous, on a fait un calcul à l’échelle de l’Afrique : il y aurait un million de morts par an, liés à cette pollution, un million de morts avec des maladies respiratoires et des maladies cardiovasculaires, etc.

« on a fait un calcul à l’échelle de l’Afrique : il y aurait un million de morts par an, liés à cette pollution… »

Ouagadougou, Kinshasa, Abidjan et Dakar sont citées. Mais de nombreuses villes africaines ne sont pas citées dans un rapport comme celui-là. Faute de données, seulement 19 pays sur 54 disposent d’un système de surveillance de la qualité de l’air. Comment cela est-il encore possible ?

Oui. Le manque de données effectivement sur l’Afrique est criant, et ça c’est évident. Un vrai réseau de qualité de l’air comme nous avons en Europe, ça il y en a très peu, il n’y en a même pas 19 sur 54, un vrai réseau avec des mesures comme nous avons en France avec  le réseau Ademe [Agence de la transition écologique à Paris, Ndlr]. On peut en citer un sur l’Afrique de l’Ouest uniquement, c’est celui de Dakar qui marche depuis 10 ans. Mais ça va plus loin que le manque de données sur la pollution de l’air. Ça va aussi sur par exemple compter le trafic, compter les activités domestiques, tout ce qui est en amont de la pollution, pour pouvoir réduire cette pollution.

Pas de données, cela veut dire pour les gouvernants, pas de problèmes. Donc, pas de solution à chercher ?

Plus il y aura de données, plus les gouvernements seront à même de vouloir proposer des solutions. Il faut multiplier les mesures, multiplier les coordinations de réseaux qui existent aujourd’hui et qui se développent pour pouvoir proposer des solutions de réduction de la pollution, parce qu’on voit que, si finalement on ne fait rien sur cette pollution, la pollution continuera d’augmenter. On peut imaginer qu’en 2030, elle sera multipliée par 4 sur l’Afrique si rien n’est fait avec 200 000 morts en plus sur les 1 million qu’on disait tout à l’heure. La population souffre et va souffrir de plus en plus de cette pollution aux particules fines dans les villes africaines.

In. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invite-afrique/20230331-pollution-de-l-air-le-manque-de-donnees-sur-l-afrique-est-criant-dit-catherine-liousse-cnrs

Image de la UNE : Catherine Liousse, directrice de recherches au CNRS, au laboratoire d’aérologie de Toulouse. © Courtesy of Polina Jourdain-Kobycheva

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