Contre La sansure

La Guinée à l’os : quand le peuple jeûne et la junte festoie

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À Conakry, la faim n’a plus besoin de métaphore. Elle a le visage accablé des mères qui arpentent les boucheries, front en sueur, yeux hagards, espérant l’impossible : quelques morceaux de viande pour célébrer l’Eid-El Fitr. Elle se lit dans la résignation des pères, qui traînent leur désespoir dans des files interminables, priant pour que le prochain camion de bœufs annoncé ne soit pas qu’un mirage de plus. Tandis que le peuple lutte pour un repas, la junte se goinfre avec arrogance.

Car oui, à la table du pouvoir, les banquets sont somptueux. L’argent coule dans des comptes offshore, la viande fond sous les palais dorés, et le vin déborde des coupes dans des festins où le mot « modération » est banni. Pendant que les Guinéens traquent la viande comme une relique, les dirigeants eux, repaissent leur appétit démesuré sur le dos d’un peuple qu’ils affament. L’indécence est totale : les fonds qui auraient dû soutenir les éleveurs ou structurer la filière sont dilapidés dans des mascarades de propagande célébrant un “Nouveau Soleil” pendant que le peuple s’enfonce dans une nuit de privations.

*Quand un pouvoir repu écrase un peuple affamé*

Il ne s’agit pas d’un accident, encore moins d’un caprice climatique comme on tente de nous le faire croire. La pénurie de viande, à l’aube de l’une des plus grandes fêtes musulmanes, expose la faillite monumentale d’un régime qui ne gouverne que pour lui-même. Depuis leur coup d’État, les membres de la junte n’ont cessé d’épuiser les ressources, d’étouffer les voix dissidentes et de détourner l’attention par des slogans vides, pendant que la réalité s’effondre.

Les signes sont là, douloureux. Le secrétaire administratif de la coopérative des bouchers ne peut qu’admettre la vérité : le bétail manque, l’élevage agonise, les espaces pastoraux sont abandonnés. Pire encore, la Guinée, autrefois exportatrice de bœufs, se retrouve aujourd’hui à supplier ses voisins pour du bétail. Une chute symbolique pour un pays qui, malgré ses richesses, n’assure plus les besoins fondamentaux de son peuple.

Et la junte ? Rien. Rien, si ce n’est distribuer des billets à des jeunes opportunistes pour qu’ils chantent des louanges à un régime qui les méprise. Rien, sauf multiplier les campagnes grotesques d’autocélébration, pendant que les marchés restent vides et que les familles sombrent dans le désespoir.

*Résignation ou révolte ?*

Kémo Saidouba Keïta, Djénéba Youla, et tant d’autres anonymes représentent ce peuple trahi, humilié au quotidien. Ils ne demandent qu’un repas digne pour une fête sacrée, mais on leur impose une errance absurde à travers une capitale où l’on croise plus de pick-up militaires que de kilos de viande.

Combien de temps ce peuple continuera-t-il de plier ? Combien de temps acceptera-t-il d’être humilié par des dirigeants qui festoient tandis qu’il crie famine ? La Guinée, en endurant l’intolérable, creuse chaque jour sa propre tombe.

Mais qu’ils se méfient, ces fossoyeurs de la nation : un peuple affamé, privé de dignité et de ses traditions, est un peuple qui finit toujours par renverser la table. Et lorsque la viande disparaît des étals, il faut entendre le grondement de l’histoire : les jours du régime sont comptés.

Aboubacar Fofana, chroniqueur

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