Contre La sansure

L’Armée guinéenne a franchi le Rubicon : Quand l’institution républicaine sombre dans la partisanerie

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En appelant publiquement le général Mamadi Doumbouya à se porter candidat aux élections, l’armée guinéenne a pulvérisé le principe fondamental de neutralité politique qui constitue le socle de toute institution militaire républicaine. Cette ligne rouge n’a pas été simplement franchie : elle a été délibérément piétinée. Ce n’est pas une dérive, c’est un naufrage institutionnel. Tout est désormais désacralisé dans ce pays.

La doctrine républicaine, unanimement reconnue à travers le monde démocratique, établit un principe cardinal : l’armée appartient à la Nation, jamais à un homme ni à un parti. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Convention de l’Union Africaine sur la démocratie imposent la séparation stricte entre pouvoir militaire et pouvoir politique. En France, aux États-Unis, au Sénégal, au Ghana, au Botswana, l’armée demeure rigoureusement apolitique. Ces exemples démontrent qu’il n’y a pas de démocratie durable sans une armée neutre.

Les dangers de cette dérive sont immédiats et mortels. L’armée qui choisit son candidat transforme la démocratie en dictature militaire déguisée. Comment une armée politisée pourrait-elle garantir la sécurité de tous les citoyens, y compris les opposants ? Comment pourrait-elle protéger l’intégrité d’un processus électoral où elle est partie prenante ? La réponse est simple : elle ne le peut pas.

L’histoire nous avertit : Côte d’Ivoire, RDC, Soudan, Myanmar. Quand l’armée se divise selon des lignes politiques, les casernes deviennent des poudrières et le pays un champ de bataille. Une armée politisée engendre des coups d’État en cascade, des règlements de comptes sanglants, et l’impossibilité de toute transition démocratique pacifique. Les sanctions internationales suivront : CEDEAO, Union Africaine, ONU. L’isolement sera total.

À long terme, c’est un pays entier qui sombre. L’économie s’asphyxie car aucun investisseur ne finance une junte militaire. La jeunesse est sacrifiée par la fuite des cerveaux. Les services publics s’effondrent. La justice est bafouée, le droit du plus fort remplace l’État de droit. La mémoire collective est traumatisée pour des décennies.

Sur le plan juridique, les arguments sont imparables. Tout militaire prête serment de défendre la Constitution et la République, non un homme. Cette prise de position constitue un parjure collectif. L’armée utilise ses ressources à des fins partisanes : c’est un abus de pouvoir caractérisé. Comment un opposant peut-il faire campagne face à un candidat soutenu par l’institution qui détient le monopole de la violence légitime ? C’est une violation flagrante du principe d’égalité devant le suffrage.

Le chef d’Etat major general des armées de Guinée, Général Ibrahima Sory Bangoura, faisant la déclaration des forces armées.

 

Le comble de l’absurdité réside dans le fait que le général Mamadi Doumbouya lui-même est arrivé au pouvoir par un putsch en septembre 2021, promettant alors une transition démocratique. Aujourd’hui, cette même armée qui a pris le pouvoir par les armes se mobilise pour le maintenir par les urnes. C’est la stratégie classique du putschiste qui se civilise : briser l’ordre constitutionnel par la violence, puis organiser une mascarade électorale pour légitimer la confiscation du pouvoir. L’armée n’orchestre plus une transition, elle perpétue un pouvoir illégitime. Ce n’est plus une transition, c’est une confiscation cynique du pouvoir par ceux-là mêmes qui ont juré de le rendre au peuple.

Cette désacralisation n’est pas qu’un symbole brisé. C’est un verrou démocratique qui saute, ouvrant la boîte de Pandore de tous les excès autoritaires. Un pays où l’armée fait de la politique est un pays où les élections sont truquées d’avance, où l’opposition vit dans la peur, où le développement est impossible, où l’avenir est confisqué. Le silence complice d’aujourd’hui fera les tyrans et les tragédies de demain.

Une armée qui fait de la politique cesse d’être une armée pour devenir une faction armée. Et une faction armée au pouvoir n’est rien d’autre qu’une dictature en treillis. L’urgence d’un sursaut citoyen n’a jamais été aussi criante.

Abdoul Karim Diallo
« La République n’a pas de prix, la démocratie ne se négocie pas. »

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