Contre La sansure

Le 25 mai 2022 est un triste anniversaire pour la Guinée (Babahady Maréga)

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C’est le 25 mai 1963, à Addis-Abeba (Éthiopie) que fut créée l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). La Guinée est un des membres f0ndateurs et un de ses illustres fils, Boubacar Telli Diallo, en fut le premier Secrétaire général de cette organisation internationale. Mais il n’était pas le choix du premier président guinéen, le dictateur Sékou Touré. 

Babahady Maréga, membre du bureau exécutif de l’AVCB (Association des victimes du Camp Boiro) écrit :

Nous devrions fêter avec allégresse, et à double titre, l’anniversaire de l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue depuis Union Africaine, parce que non seulement le Peuple de Guinée a participé à la création de cet outil d’intégration africaine à travers les actions de ses dirigeants de l’époque, au premier rang desquels l’on peut citer Sékou Touré, mais aussi et surtout l’un de ses plus brillants fils, Telli Diallo, qui a été la cheville ouvrière de la structuration de cette OUA naissante, et l’habile manœuvrier qui a rendu possible la réussite d’un grand nombre de combats initiés par les présidents africains, et exécutés avec maestria par cet homme rompu aux mécanismes administratifs supranationaux et fin diplomate agissant dans un environnement hostile dominé par les puissances coloniales de l’époque et des présidents jaloux de leur souveraineté nouvellement acquise.

Malheureusement, la Guinée a assisté impuissante à la rapide dérive d’un Sékou Touré présenté par une facétie de l’histoire sous le jour libérateur et d’un révolutionnaire aimé de son Peuple. Il s’est vite dévoilé être un tyran sanguinaire qui a réussi la prouesse de détruire la structure sociale d’un pays jadis considéré comme la perle de l’Afrique francophone, et de faire exécuter des dizaines de milliers de ses concitoyens dans de nombreux camps de torture disséminés à travers le pays, dont la plus célèbre des victimes n’est autre que le premier secrétaire général de l’OUA Telli Diallo.

Diallo Telly lors d’une conférence de presse de la Commission économique africaine (CEA)

 

A l’heure ou la machine à tordre le cou à la vérité, technique dont Sékou Touré et le PDG s’étaient rendus maîtres, a repris du service, il est important de rappeler les faits à ceux qui content les « bienfaits » d’une période durant laquelle ils n’étaient pas encore nés pour la plupart, et que leurs ainés ont haï tellement cette période a laissé des cicatrices indélébiles au sein de la population. Les réponses à plusieurs questions permettent de comprendre les rapports entre les deux hommes, ainsi que les conséquences de leurs interactions :

Qui était Telli Diallo? Quelles intrigues montrent vraiment la nature des relations entre les deux hommes ? Qui a fait élire Telli en 1964 et qui l’a fait réélire en 1968 ? Quelle est l’immense contribution de Telli à la reconnaissance de la Guinée et à l’Afrique ? Comment Telli Diallo a perdu à l’élection pour son troisième mandat à la tête de l’OUA en 1972? Comment Sékou Touré a planifié l’exécution de Telli Diallo bien avant 1976? Pourquoi va-t-il exécuter cruellement Telli Diallo ?

Quatre témoins ont directement (Barry Bassirou, Hassimiou Soumaré) ou indirectement, à travers leurs écrits ou enregistrements (Kadiatou Diallo Telli, Kapet de Bana) contribué à enrichir nos connaissances sur la vie de Diallo Telli. Les deuxième et troisième chapitres sont extraits du livre « Hadja Kadiatou Diallo Telli – un destin de cheffe », écrit par Valérie A. N. Masumbuko, et publié aux éditions L’Harmattan Guinée, alors que les interventions de Me Bassirou recruté en octobre 1968 en qualité de conseiller juridique en chef de l’O.U.A., et Mr Hassimiou Soumaré, proche conseiller de Telli Diallo (de 1964, date de sa prise de fonction à 1972, date d’achèvement de son deuxième et ultime mandat à ce poste) ont largement contribué à l’appréciation globale de l’œuvre de Telli Diallo. Quant à Kapet de Bana sur les raisons de l’exécution de Telli Diallo, son intervention est extraite d’une entrevue réalisée de son vivant par Tohany Onipogui et Paul Théa.

Qui était Telli Diallo?

Le cursus scolaire et universitaire de Telli a été assez spécial. Durant tout son parcours scolaire et universitaire, il a pratiquement toujours été major de sa promotion. Au concours d’entrée à l’école normale William Ponty au Sénégal il fut reçu major de sa promotion. Après l’obtention du diplôme de licence en droit en 1951 qui sanctionnait alors le cycle normal de l’université et permettait aux plus brillants des étudiants de concourir pour accéder aux grandes écoles françaises (école Normale Supérieure, école Polytechnique, école nationale des Mines…), la sélection était d’autant plus sévère que le nombre de retenus dépendait des besoins de l’administration au niveau national. Par exemple en 1957, selon Barry Bassirou, pour l’entrée à l’école nationale de la France d’Outre-Mer seules douze places étaient offertes sur concours aux étudiants de l’ensemble des colonies françaises. A la sortie de cette école, Telli a terminé major. C’était la première fois qu’un Noir était major dans l’histoire de cette grande école française. Cet événement avait fait les choux gras des quotidiens parisiens.

Sa notoriété a démarré à cette époque. Malgré cela, il choisit l’option « magistrature », qui n’était pas la plus prisée à l’époque.

Telli a été le seul magistrat guinéen formé par l’administration française jusqu’en 1958. D’autres guinéens ont été admis à ce prestigieux concours d’entrée dans les grandes écoles françaises, mais ils ont tous choisi des filières autres que la magistrature : par exemple, Camara Balla avait choisi l’Administration, tandis que Camara Faraban avait choisi l’Inspection du Travail.

Telli est alors affecté à Thiès comme substitut du procureur de la République. Thiès était la troisième ville du Sénégal après Dakar et Saint-Louis, l’ancienne capitale. C’est là qu’il a été repéré et débauché par le gouverneur général de l’Afrique Occidentale Française, basé à Dakar, la capitale. Ce dernier le nomma à son cabinet. Telli y est resté jusqu’à ce que la France créé le Grand Conseil de l’A.O.F. dont le plus haut poste administratif était celui auquel Telli avait été nommé.

Après le vote négatif de la Guinée au référendum du 28 septembre 1958, la France a retiré tous ses fonctionnaires, laissant le pays sans personnel qualifié pour faire marcher l’Administration. C’est alors que Sékou Touré a fait appel à Diallo Telli et à Camara Balla, qui n’ont pas hésité un seul instant à tout laisser tomber, pour se mettre au service de la Guinée.  Tous deux ont disparu au Camp Boiro sans laisser de traces.

Le retour de Telli Diallo en Guinée est expliqué par son épouse Kadiatou : Telli se trouvait en vacances avec sa famille en France lorsque survint le référendum. Lorsque le général de Gaulle quitta la Guinée pour le Sénégal, lors de son tour en Afrique de l’Ouest, Telli dut écourter ses vacances pour repartir participer à l’accueil du général à Dakar. En effet, il siégeait au grand conseil de l’A.O.F.

Après le départ du général de Gaulle, il retrouva sa famille en France et discuta de la rupture des relations entre la Guinée et la France. Il dit à sa femme: « maintenant que la Guinée a obtenu son indépendance, je vais devoir rentrer pour servir ma patrie. C’est sûr que la France nous le fera payer cher ».

-« Et toi ? Penses-tu pouvoir arrêter cela ? »

-« Non, mais au moins, je peux aider le pays à contrer les attaques de la France. J’ai travaillé avec l’administration coloniale. Je sais de quoi ils sont capables, mais je connais aussi leurs points faibles ».

-« A ta place je ne rentrerai pas en Guinée car ce serait dangereux pour toi », répondit-elle.

Quelles intrigues montrent vraiment la nature des relations entre les deux hommes ?

Dotée d’un discernement hors pair, Kadiatou pouvait décrypter facilement les non-dits. Quand Sékou Touré nomma Telli à l’O.N.U., ce dernier y obtint l’admission de la Guinée comme membre, malgré l’opposition initiale de la France. C’était le 13 décembre 1958, le jour de l’anniversaire de Kadiatou. Sékou Touré lui téléphona. « Bonne fête madame Diallo, je profite de cette occasion pour vous informer que Telli vient de vous offrir un cadeau extraordinaire ».

-« Ah oui? » répondit-elle, loin de s’imaginer qu’il pouvait réduire un événement aussi important pour la nation en une histoire personnelle.

-« Il a obtenu l’admission de la mission guinéenne aux Nations Unies ».

-« Merci Monsieur le Président, pour tous les efforts que vous avez fournis pour l’avancement de notre pays ».

De même, pendant le premier rassemblement public à Conakry, le chef de l’Etat présenta la première équipe gouvernementale, ainsi que les militaires qui rentraient d’Algérie. Lorsque Sékou Touré annonça les succès de Diallo Telli à l’O.N.U., un concert d’acclamations s’éleva de la foule. Pourtant au cours du journal à la radio, les applaudissements furent coupés.

Quand Kadiatou le fit remarquer à son mari. Celui-ci minimisa l’affaire car, selon lui, le reportage était trop long pour être retransmis en entier.

Le flair extraordinaire de Kadiatou lui permettait également de déjouer les pièges dans lesquels beaucoup d’autres personnes tombaient. Au cours du mandat de Diallo Telli à l’O.N.U., le ministre des affaires étrangères et le président offrirent à Kadiatou le poste de chargée des finances de l’ambassade. Telli n’y voyait aucun inconvénient, il était persuadé que cette proposition allait certainement plaire à son épouse.

-« Je ne peux pas prendre ce poste », déclara-t-elle, lorsqu’il le lui apprit.

-« Pourquoi ? »

-« D’abord, je n’ai pas étudié les finances, ensuite, c’est toi qui va ordonner les dépenses, ce qui nous met dans une situation compliquée. Si les autorités guinéennes veulent nous incriminer à tort de détournement de fonds, nous ne pourrons pas nous défendre ».

Le poste échut finalement à Rosemonde, la femme d’Achkar Marof, l’attaché culturel, qui plus tard remplaça Telli à la représentation de la Guinée aux Nations Unies. Kadiatou avait bien vu. Lorsqu’Achkar Marof fut arrêté en 1971, les malversations figuraient en première position du chef d’accusation.

Diallo Telli travailla deux ans à l’O.N.U., puis devint Ambassadeur à Washington pour une année, au cours de laquelle Kaba Sory lui succéda à l’O.N.U. avant d’être rappelé à Conakry. Telli revint à l’O.N.U. où il resta en poste pendant deux années additionnelles.

Qui a fait élire Telli en 1964 et qui l’a fait réélire en 1968 ?

Pendant que Diallo Telli s’afférait aux Nations Unies, il ignorait qu’il se trouvait au cœur des débats, autour de la question de l’avenir de l’O.U.A.. Au cours de leur réunion du 23 mai 1963 à Addis-Abeba, les chefs d’État procédèrent à la sélection des candidats. Le Maroc et l’Algérie présentèrent une motion qui désigna Diallo Telli, et que le Ghana et l’Egypte soutinrent. Sékou Touré la rejeta et proposa son frère Ismaël Touré. Ce choix fut rejeté. Sékou Touré proposa Lansana Béavogui, le chef de la mission diplomatique guinéenne, ou encore Nfaly Sangaré, son beau-frère. Mais aucun d’eux n’avait l’expérience ni le charisme de Diallo Telli. Leurs candidatures furent rejetées.

Sékou Touré accepta, mais continua de manœuvrer en coulisse, car il voulait empêcher Telli d’accéder à ce poste. Au début juillet 1964, Sékou Touré demanda à celui-ci de participer à deux rencontres. La première qui réunirait les pays non-alignés et qui se tiendrait à Rabat (Maroc) tandis que la deuxième, sur l’élection du secrétaire général et la mise sur pied des organes de l’O.U.A., aurait lieu au Caire. Pendant que Telli se préparait pour rejoindre la délégation guinéenne, il reçut un autre message du président, qui lui ordonnait d’envoyer son adjoint, Achkar Marof, au Caire. Lui devait venir en Guinée où l’attendait un poste de ministre des Affaires africaines. Quand Telli apprit la nouvelle, il s’effondra. Son médecin l’envoya dans une maison de repos. Il n’avait droit qu’à un appel par jour, qu’il utilisait pour communiquer avec sa famille. Du dix-sept au vingt-et-un juillet 1964, eut donc lieu au Caire le vote qui mit fin aux tergiversations autour de la gouvernance de l’O.U.A. Diallo Telli obtint vingt-trois voix sur trente-trois, soit plus de la majorité des deux tiers requis. Il fut donc élu in absentia ! Vers cinq heures du matin, le téléphone retentit chez les Telli. « Je suis le représentant de l’Algérie. Diallo Telli vient d’être élu secrétaire général de l’O.U.A., puis-je lui parler ? » Kadiatou répond.

-« Non, il n’est pas là pour le moment. Je lui donnerai votre message ».

Pourquoi les autorités guinéennes ne s’étaient-elles pas encore manifestées alors que la nomination de Telli constituait un honneur immense pour le pays ? Aussi, une confirmation officielle demeurait indispensable pour leur permettre de commencer les formalités de transition. Ils téléphonèrent au Caire. Vu les réponses vagues et brèves de Barry Diawadou, représentant de la Guinée en Égypte, le couple Telli conclut que toute la délégation guinéenne, y compris le chef de l’État, se trouvait avec lui. Ce refus de communiquer prouvait que la propulsion de son époux à la tête de cette prestigieuse organisation ne plaisait pas du tout à Sékou Touré et à son entourage, sinon, ils se seraient empressés de contacter Telli. Un voyage en Guinée s’avéra inévitable. Telli rencontra le président Sékou Touré lors d’une rencontre à Kindia sur convocation de ce dernier.

Cette version est confirmée par Hassimiou Soumaré qui précise que depuis la création de l’OUA à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopies’est posé le problème de l’élection du premier Secrétaire Général.  Sékou Touré a voulu faire élire son frère Ismaël Touré que personne ne connaissait en dehors de la Guinée. La candidature d’Ismaël Touré a donc été rejetée par la majorité des membres. Les 32 États alors indépendants décidèrent de surseoir à l’élection du Secrétaire Général jusqu’au sommet suivant, et ont élu un Secrétaire Général par intérim en la personne de l’éthiopien Kifle Wodajo.

Sékou Touré a fait tuer de dizaines de milliers de personnes, dont Diallo Telly.

Telli a été pour la première fois Secrétaire Général Administratif au Caire en 1964. Depuis Dakar, les États membres étaient à la recherche d’une candidature apte à assumer les fonctions de premier Secrétaire Général Administratif de l’O.U.A. Le sommet de 1964 devant se tenir au Caire capitale de l’Égypte, son président Gamal Abdel Nasser était le plus actif à cet égard car il voulait absolument que le premier Secrétaire de l’O.U.A. soit élu au Caire.

En 1968 à Alger, Sékou Touré tenta à nouveau vainement d’imposer la candidature de Ismaël Touré au poste de Secrétaire Général de l’O.U.A. Le ministre Alpha Abdoulaye dit « Portos », qui conduisait la délégation guinéenne, avait reçu l’instruction ferme de tout faire pour empêcher la réélection de Diallo Telli. Mais il réalise que la Côte d’Ivoire tente également de faire barrage à la réélection de Telli. Vu la tension qui régnait alors entre la Guinée et le pays d’Houphouët-Boigny, la délégation guinéenne décide alors de s’abstenir plutôt que de partager la même lutte que la Côte d’Ivoire. Telli fut élu de justesse en 1968, grâce au soutien notamment de l’empereur Hailé Sélassié. Il fut aussi soutenu par Ahmadou Ahidjo du Cameroun.

Quelle est l’immense contribution de Telli Diallo à la reconnaissance de la Guinée et l’Afrique ?

L’homme était un croyant, musulman et pratiquant. Il aimait travailler en équipe et attachait beaucoup d’importance à ses collaborateurs. Il était d’une intelligence rare, d’une gentillesse et d’une générosité démesurées. Son passage aux Nations-Unies l’avait déjà rendu populaire sur les plans africain et international.

Il était patriote, panafricain et dévoué à la lutte de libération des peuples colonisés. Il était admiré par les leaders des mouvements de libération et des chefs d’État Africains considérés comme révolutionnaires.

Trois grandes réussites sont à mettre au compte de Telli Diallo : l’admission de la Guinée à l’ONU, la structuration de l’OUA, enfin et surtout l’immense coup de pouce aux luttes pour l’indépendance sur le continent.

 

Babahady Maréga

Membre du bureau exécutif de l’AVCB

 

Lire également :

Comment Sékou Touré A Planifié L’exécution De Telli Diallo Bien Avant 1976 ? (*)

(*) In. https://guinafnews.org/4425-2/

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