Contre La sansure

Le conseil des droits de l’homme de l’ONU a adressé au Colonel Doumbouya à propos du FNDC et de ses leaders détenus

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En date du 12 octobre dernier, le conseil des droits de l’homme a adressé au Colonel Doumbouya, président de la transition guinéenne, une correspondance pour « attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant des allégations de détention arbitraire des défenseurs des droits humains Oumar Sylla et Ibrahima Diallo » et « soulever également d’autres préoccupations concernant des allégations de dissolution sans fondement juridique du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC)« .

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Excellence,

Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme; Groupe de travail sur la détention arbitraire; Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, conformément aux résolutions 43/16, 42/22, 43/4 et 50/17 du Conseil des droits de l’homme.
Dans ce contexte, nous souhaiterions attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant des allégations de détention arbitraire des défenseurs des droits humains Oumar Sylla et Ibrahima Diallo. Nous aimerions soulever également d’autres préoccupations concernant des allégations de dissolution sans fondement juridique du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).
M. Oumar Sylla, alias Foniké Mangué, et M. Ibrahima Diallo sont défenseurs des droits humains, membres de l’organisation Tournons La Page en Guinée et coordonnateurs de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Tournons La Page est un mouvement qui promeut les processus démocratiques et la participation citoyenne. L’organisation est active dans 10 pays africains et défend la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Elle mène principalement ses activités de plaidoyer par le biais de manifestations, de campagnes et de débats publics. Le FNDC est un mouvement citoyen fondé en 2019 visant à protester contre l’amendement ou l’adoption d’une nouvelle constitution permettant à l’ex-président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat présidentiel. Il rassemble des associations et organisations de la société civile, des partis politiques, et des syndicats.

Le FNDC est un mouvement citoyen fondé en 2019…. Il rassemble des associations et organisations de la société civile, des partis politiques, et des syndicats.

M. Sylla a fait l’objet de deux communications précédentes, envoyées par des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales le 12 février 2021 (GIN 1/2021) et le 28 juillet 2021 (GIN 2/2021). Les 12 février 2021 et 24 septembre 2021, la Mission Permanente de la République de Guinée auprès de l’Office des Nations Unies et des Organisations Internationales à Genève et à Vienne, a accusé réception de ce courrier, sans pour autant répondre aux allégations soulevées dans les communications précitées.
Selon les informations reçues :
Le 30 juillet 2022, MM. Oumar Sylla et Ibrahima Diallo auraient été arrêtés à Conakry par des gendarmes et des militaires lourdement armés. M. Sylla, qui souffrirait de problèmes cardiaques, aurait été arrêté à son domicile vers 1h40.
M. Diallo aurait été arrêté à son domicile vers 18h. Les deux arrestations auraient été effectuées de manière violente. Les défenseurs des droits humains auraient été emmenés au haut commandement de la gendarmerie, néanmoins, la famille de M. Sylla n’aurait pas été informée de sa localisation jusqu’à 15h.
Les défenseurs des droits humains auraient été présentés devant le procureur de la Cour d’Appel de Conakry trois jours après leur arrestation mais n’auraient pas été présentés devant une autorité judiciaire à ce jour. Ils seraient actuellement détenus à la prison civile de Conakry, accusés de plusieurs infractions au code pénal, dont : participation délictueuse à un attroupement, coups et blessures volontaires, association de malfaiteurs, entrave à la liberté́ de circulation, complicité́, incendie et pillage et destruction de biens privés. Ils auraient pu voir leurs représentants légaux depuis leur détention, mais aucune date n’aurait été fixée pour leur comparution devant un tribunal.
Les arrestations de MM. Sylla et Diallo auraient été effectuées dans un contexte de tensions croissantes en Guinée. Le 13 mai 2022, deux jours après la fixation d’une durée de 36 mois pour la transition démocratique dans le pays, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a interdit toute manifestation « de nature à compromettre la quiétude sociale » jusqu’aux périodes de campagnes électorales. Néanmoins, le FNDC a appelé à des rassemblements pacifiques à partir du 23 juin 2022 pour dénoncer la présumée gestion unilatérale de la transition par la junte militaire. Le 5 juillet 2022, M. Sylla aurait été interpellé par la Brigade de répression et du banditisme (BRB) et conduit à la direction centrale de la police judiciaire, avec deux autres activistes de la société civile, durant une conférence de presse. Ils auraient ensuite été relaxés le 8 juillet 2022, suite à une décision du Tribunal de première instance de Dixinn. Lors du rassemblement du 28 juillet 2022, plusieurs manifestants auraient été tués et blessés. Selon les forces de l’ordre, 12 de leurs membres auraient été blessés, et 85 personnes auraient été arrêtées.
Ces événements auraient conduit à la suspension des rassemblements prévus par le FNDC pour permettre un dialogue entre les parties prenantes.
Cependant, le 6 août 2022, un arrêté du ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation a annoncé la dissolution du FNDC, le qualifiant « d’un groupement de fait ». Cependant, cette charge juridique ne serait pas un motif valable pour dissoudre le FNDC. A la suite de cet arrêté, le FNDC a publié une déclaration (N°221) le 10 août 2022, appelant à de nouvelles manifestations pacifiques le 14 août 2022 en Belgique et le 17 août 2022 sur l’ensemble du territoire national, pour exiger l’ouverture d’un dialogue crédible entre le CNRD et la société civile, le respect des droits humains, notamment le droit à la vie et à la manifestation pacifique, et la libération des militants pacifiques.
Sans vouloir, à ce stade, nous exprimer sur la véracité des informations reçues, nous exprimons de graves préoccupations quant aux allégations d’arrestation et de détention arbitraire de MM. Sylla et Diallo, qui semblent directement liées à l’exercice de leur droit à la réunion pacifique. Nos préoccupations à cet égard sont exacerbées par les conditions présumées d’interpellation et de détention à la prison civile de Conakry, qui serait extrêmement surpeuplée, l’absence d’assistance juridique et les problèmes de santé dont souffre M. Sylla.
Nous sommes également préoccupés par le fait que les arrestations arbitraires et illégales de MM. Oumar Sylla et Ibrahima Diallo pourraient avoir un effet dissuasif sur les individus qui souhaiteraient s’exprimer, manifester pacifiquement, se réunir et participer à la vie publique et politique en Guinée.

Ibrahima Diallo, Saïkou Yaya Barry et Oumar Sylla sur le point d’être envoyés à la prison.

 

Nous exprimons également des préoccupations quant à la dissolution du FNDC et les restrictions imposées sur le droit à la réunion pacifique dans le pays, affectant la capacité d’action et le niveau de vulnérabilité des défenseurs des droits humains en Guinée. Ces éléments semblent être incompatibles avec les obligations des autorités en vertu du droit international des droit humains.
Nous émettons cet appel afin de préserver les droits de MM. Sylla et Diallo contre un préjudice irréparable et sans préjuger d’une éventuelle décision de justice.
En relation avec les faits allégués ci-dessus, nous vous prions de bien vouloir vous référer à l’annexe ci-jointe (*)qui énonce les textes relatifs aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits humains.
Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissants au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants :
1. Veuillez nous fournir toute information ou tout commentaire complémentaire en relation avec les allégations susmentionnées.
2. Veuillez nous fournir des informations sur les motifs juridiques justifiant l’arrestation et la détention des MM. Sylla et Diallo, ainsi que les motifs factuels justifiant les accusations portées contre eux.
3. Veuillez fournir des informations sur les mesures prises et les garanties adoptées par les autorités afin de permettre aux défenseurs de droits humains d’exercer leurs droits légitimes à la liberté d’expression, de manifestation pacifique et d’association, et mener à bien leur travail légitime librement et dans un environnement sûr et favorable, sans actes d’intimidation et de harcèlement de quelque sorte que ce soit, en Guinée.
4. Veuillez fournir des informations détaillées sur les mesures prises pour assurer les garanties fondamentales accordées aux individus en détention, et spécifiquement à MM. Sylla et Diallo, notamment le droit à être assisté par un avocat de son choix, le droit de contacter ses proches, l’accès régulier à l’eau et à la nourriture et des conditions sanitaires acceptables pour tous les détenus. Veuillez indiquer en quoi ces mesures sont compatibles avec les obligations internationales du Gouvernement de votre Excellence en matière de droits humains.
5. Veuillez préciser les motifs juridiques justifiant la dissolution du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) et indiquer en quoi cette procédure est compatible avec les obligations internationales du Gouvernement de votre Excellence en matière de droits humains.
Nous serions reconnaissants de recevoir une réponse de votre part à ces questions dans un délai de 60 jours. Passé ce délai, cette communication, ainsi que toute réponse reçue du gouvernement de votre Excellence, seront rendues publiques sur le site internet rapportant les communications. Elles seront également disponibles par la suite dans le rapport habituel présenté au Conseil des Droits de l’Homme.
Nous souhaitons informer le Gouvernement de votre Excellence qu’après avoir transmis au Gouvernement les informations contenues dans la présente lettre, le Groupe de travail sur la détention arbitraire peut transmettre l’affaire par sa procédure régulière afin de rendre un avis quant à savoir si les privations de liberté étaient arbitraires ou non. De tels appels ne préjugent en aucune façon l’avis du Groupe de travail. Le Gouvernement est tenu de répondre séparément à la procédure d’appel urgent et à la procédure ordinaire.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous prions le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des libertés de(s) l’individu(s) mentionné(s), de diligenter des enquêtes sur les violations qui auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice.
Nous prions aussi votre Gouvernement d’adopter, le cas échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des faits mentionnés.
Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de notre haute considération.
Mary Lawlor
Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme
Mumba Malila
Vice-président du Groupe de travail sur la détention arbitraire
Irene Khan
Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et
d’expression
Clement Nyaletsossi Voule
Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association

 

(*) In. https://guinafnews.org/references-aux-instruments-juridiques-et-autres-standards-etablis-en-matiere-de-droits-humains-que-va-faire-le-ministre-charles-wright/

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