Lettre ouverte au Colonel Mamadi Doumbouya, Président de la Transition, Chef des armées
Excellence Monsieur le Président de la Transition,
Comme beaucoup de nos compatriotes, je suis l’un de ces Guinéens qui vous ont soutenu pour avoir sauvé le peuple de Guinée pendant une période critique, et surtout à cause des engagements que vous avez pris lors de la prise de responsabilité (comme vous aimez bien le rappeler) en septembre 2021. Je reste fidèle à mon engagement personnel et à ma conviction que vous avez la volonté et surtout la détermination de faire du bien pour le peuple de Guinée, à sortir notre pays du marasme.
Je ne vais pas les citer ici, mais de nombreux actes que vous avez posés me confortent dans cette position. Je ne suis pas le seul Guinéen à vous considérer ainsi et à vous soutenir dans cette noble entreprise.
Cependant, des signaux reçus ces derniers temps commencent à réveiller des soupçons et non les moindres chez moi ainsi que chez de nombreux compatriotes. J’ose avouer qu’il s’agit de l’écrasante majorité de la population guinéenne, sans risque de me tromper. Je suis citoyen de ce pays et témoin des évènements politiques et sociaux de ces 30 dernières années. C’est fort de cette modeste expérience que je m’adresse à vous. Je vous écris puisque je considère que votre réussite est la mienne, ainsi que votre insouhaitable échec. Je souhaite donc nous voir réussir.
Ce n’est qu’un rappel à un des moments cruciaux de notre histoire. Je n’ai absolument rien à vous apprendre que vous ignoriez. Je m’emploie seulement à mettre la lumière sur des faits récents qui ont contribué à mettre le pays dans la situation qui a justifié et légitimé votre intervention.
Excellence Monsieur le Président, permettez-moi de rappeler que notre pays a connu une transition chaotique en 2009. Des Guinéens dont certains sont avec vous aujourd’hui, ont encouragé le capitaine Moussa Dadis Camara à emprunter les chemins interdits. Il est aujourd’hui devant un juge. C’est vous qui avez décidé de rendre justice à ces centaines de victimes qui vivent encore les conséquences de ces douloureux évènements.
L’ancien Président de la transition et ses compagnons d’infortune porteront cette charge morale sur leurs consciences pour la vie, qu’ils soient condamnés ou acquittés. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer lorsqu’une femme violée, le regard perdu, relatait à des journalistes son calvaire lors de ce massacre. La médecine a fait de notables progrès ces derniers temps, ainsi que l’accompagnement des personnes traumatisées mais, Excellence Monsieur le Président, elle le portera toute sa vie. Cela restera sur notre conscience collective.
Un second rappel que je souhaiterais faire, avec votre permission, Monsieur le Président, c’est effectivement cette même situation que vous avez trouvée insupportable, puisqu’ignoble et indigne et qui vous a poussé à prendre les armes, risquer votre vie et celles de nombreux autres Guinéens, afin de restaurer l’honneur et la dignité du peuple. Ce sont des faits récents. Les mémoires sont fraiches; les plaies ne se sont pas encore refermées. Les défuntes victimes nous entendent.
Ces deux anciens Présidents disaient aussi vouloir du bien pour la Guinée. Ils auraient souhaité que ce ne soit pas ce sort qui leur soit réservé après la présidence ; mais, hélas! Qui souhaite être à leurs places respectives aujourd’hui ?
Ils ont commis des erreurs certes, mais ils ont bénéficié de conseils, d’appuis et encouragements des personnes qui étaient proches, voire très proches. Ce sont ces personnes, ces ‘’amis circonstanciels’’ qui vous sourient, vous confient des secrets et vous proposent un soutien indéfectible qui ont induit vos prédécesseurs dans l’erreur. Comme l’a rappelé un compatriote récemment, aucun de ses compagnons d’hier ne les appelle aujourd’hui, ne les rend visite, ou se soucie d’eux! Ils sont abandonnés à leurs douloureux sorts!
Excellence Monsieur le Président, vous avez pris des engagements et les Guinéens vous ont cru, soutenu et vous soutiennent encore. Evitez de décevoir! Le respect de la parole donnée est une vertu cardinale chez les Guinéens. Vos erreurs peuvent être pardonnées, les insuffisances peuvent être tolérées mais les Guinéens ne pardonnent pas ce qu’ils estiment être une forme de ‘’trahison’’.
N’oubliez point que ceux qui vous promettent un soutien indéfectible et inconditionnel aujourd’hui vous abandonneront le moment venu! C’est sans l’ombre d’aucun doute. La plupart d’entre eux ne sont là que pour des intérêts personnels. Nous sommes tous des citoyens de ce pays mais tout le monde n’est pas patriote. Je suis convaincu que vous le savez mieux que moi, après deux années passées au sommet de l’appareil d’Etat.
Excellence Monsieur le Président, ceux qui vous demandent de changer les règles du jeu pour quelques raisons que ce soient sont en train de vous trahir. Il appartient à une assemblée nationale élue de traiter une procédure de changement de système politique. Vous pouvez y contribuer dans une large mesure en créant les conditions d’un retour rapide, paisible et consensuel à l’ordre constitutionnel. C’est la meilleure voie qui vous est ouverte.
Je m’en voudrais si je ne vous disais pas ceci, mon colonel! Deux chemins sont devant vous : le premier consiste à tenir vos promesses vis-à-vis du peuple de Guinée en organisant des élections inclusives et consensuelles dans les plus brefs délais, conformément à vos engagements. C’est le chemin de la gloire. Le second consiste à écouter et surtout suivre ceux qui vous font miroiter la possibilité de contourner votre parole donnée. C’est le chemin qui consiste à tenter de torpiller le processus enclenché. C’est le chemin de la perte, du déshonneur et du regret. La Guinée n’est pas le Rwanda encore moins la Malaisie!
Pour clore, Excellence Monsieur le Président, je vous appellerai à résister à la tentation. Résistez à la pression de votre entourage, à la pression des clans, d’où qu’ils viennent! De grandes personnalités de ce monde rendaient visite à votre prédécesseur, où sont-ils maintenant ? Je ne vous souhaite pas la douleur du regret. Il n’est jamais tard de faire marche arrière, lorsqu’il s’agit de reprendre la bonne direction. Comme vous le savez, dans cette vie, plus on monte, plus la chute est douloureuse. Descendez honorablement et restez dans les cœurs des Guinéens et dans les annales de l’histoire !
Veuillez recevoir l’expression de mes sincères salutations
Boubacar DIENG
Citoyen guinéen