Nadia Nahman, porte-parole de Cellou Dalein Diallo : « Le colonel Doumbouya a éteint la flamme de l’espoir… » (*)
CONAKRY- Comment analyser le discours du colonel Mamadi Doumbouya au siège des Nations-Unies ? Qu’est-ce que son message renvoie aux yeux de la porte-parole de Cellou Dalein Diallo ? Dans un entretien accordé à Africaguinee.com, madame Barry Nadia Nahman livre sa lecture. Pour la cheffe de cabinet du leader de l’UFDG, il n’y a plus de doute sur la volonté du colonel Doumbouya à « confisquer » le Pouvoir. Entretien exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : En tant que porte-parole de M. Cellou Dalein Diallo, comment analysez-vous le discours du colonel Mamadi Doumbouya lors de son passage à la tribune des Nations-Unies le 21 septembre ?
NADIA NAHMAN : Vous savez, l’arrivée au pouvoir de la junte guinéenne le 5 septembre 2021, loin d’ouvrir une transition, marque plutôt la continuité d’un régime autoritaire qui entend s’accrocher au pouvoir aussi longtemps que possible. En cela, le discours de Mamadi Doumbouya a le mérite de lever tout équivoque auprès de l’opinion publique nationale et internationale sur ses réelles intentions.
Sur le fond, le Président de la transition, Mamadi Doumbouya, s’est rendu coupable de parjure et a violé sa prestation de serment du 1er octobre 2021 devant la Cour suprême. Il avait juré de respecter les dispositions de la Charte de la Transition, la dignité humaine, les lois et règlements de la République et de consolider les acquis démocratiques qu’il s’est évertué, ces deux dernières années à détricoter. Il avait prononcé ces mots : « En cas de parjure, que je subisse les rigueurs de la loi ; je le jure ». Dans un État de droit, l’on se serait acheminé vers sa destitution. Mais ici, c’est la loi des armes et de la force qui prévaut hélas.
Le colonel Mamadi Doumbouya s’est engagé à rendre le pouvoir aux civils après des élections « libres » et « démocratiques » à la fin d’une période de transition. Or, nulle part dans son discours, il n’est question du retour à l’ordre constitutionnel. Bien au contraire, il s’emploie, de manière sidérante, à dresser un sévère réquisitoire contre la démocratie, alors que dans sa profession de foi de septembre 2021, il justifiait son putsch par le désir de démocratie de son peuple. Une aberration !
Sur la forme, Mamadi Doumbouya n’innove guère et utilise le même logiciel que ses frères d’armes : un discours néo-souverainiste, « cette version appauvrie et frelatée du panafricanisme », pour reprendre la formule de l’intellectuel Achille Mbembe. Il a joué à fond la carte de la diplomatie du ressentiment pour se légitimer.
Il remet en cause la démocratie à l’occidental qui selon lui, n’est pas compatible aux réalités du continent africain’’. Qu’est-ce que cela sous-entend à vos yeux ?
C’est un autre aspect, et non des moindres, du mode opératoire bien éprouvé des putschistes que de dresser un sévère réquisitoire contre la démocratie sans faire de proposition alternative. Un constat tout simple permet de déconstruire cette critique récurrente de l’inadaptation des systèmes démocratiques importés et imposés aux spécificités culturelles des pays africains. Comme le disait Gilles Yabi : « arrêtons de reprocher à un modèle démocratique qu’on a choisi largement de ne pas appliquer, en violant régulièrement les principes inscrits dans les textes constitutionnels, de ne pas produire les résultats escomptés. C’est comme refuser de prendre tous les médicaments prescrits par un médecin pour soigner une maladie, faire son propre tri entre les médicaments qu’on souhaite prendre et écarter les autres, et accuser ensuite le médecin d’incompétence parce qu’on n’est pas guéri. C’est faire preuve d’une formidable malhonnêteté intellectuelle ».
Est-ce que les exportateurs occidentaux de la démocratie importée empêchent le CNRD de déclarer ses biens et de respecter les règles les plus élémentaires en matière de passation des marchés publics ? Est-ce la faute au modèle démocratique si on décide de la politisation de toutes les administrations publiques et qu’on fait primer l’allégeance politique sur la compétence pour toutes les nominations aux fonctions publiques importantes ? Est-ce la faute au modèle démocratique si le CNRD réprime dans le sang toute tentative de manifestation et assassine à bout portant 30 citoyens ? Allons demander aux jeunes de Boffa qui sont subi un véritable terrorisme d’État ces derniers jours pour avoir demandé de l’eau et de l’électricité pour citer cet exemple récent, sans parler des familles sur l’axe dont le deuil ne fait commencer ? Est-ce la faute au modèle démocratique si la justice, censée être la boussole, est instrumentalisée à outrance ? Est-ce la faute au modèle démocratique si le CNRD a laissé prospérer la corruption, les malversations, toutes les formes d’enrichissement illicite qui caractérisent désormais sa politique imaginaire de refondation ? Depuis quand permettre aux gouvernés de choisir librement leurs gouvernants est l’apanage exclusif des occidentaux parce que les putschistes l’auraient décrété ?
Mamadi Doumbouya estime que certains présidents civils, ‘’mentent, changent la constitution’’ pour confisquer le pouvoir souvent avec le soutien de l’armée. C’est le cas de la Guinée en 2020. Dans ce cas, quel est la part de responsabilité des uns et des autres ?
C’est en Guinée qu’il est possible de faire partie du bras armé d’un ancien régime qui a changé la Constitution pour se maintenir au pouvoir, être une figure de proue de l’équipe en charge des répressions sanglantes de ce régime et avoir l’outrecuidance de dire : « C’est ceux en col blanc qui modifient les règles du jeu pendant la partie pour conserver les rênes du pays. Voilà les putschistes les plus nombreux ». C’est une parodie, un canular !
A l’UFDG, nous avons lutté pendant plus de 10 ans contre la répression, une gouvernance à tombeau ouvert et les violations des principes et règles de l’État de droit comme celles des droits et libertés des citoyens. Notre combat acharné avait bien balisé le terrain pour la junte. Nous ne sommes peut-être pas parfaits mais il y a bien longtemps que la démocratie aurait été enterrée vivante sans notre contribution significative à la lutte et notre résilience à toute épreuve.
Le chef de la junte n’a pas fait cas du respect du chronogramme du 24 mois actés avec la CEDEAO, comment interprétez-vous cette attitude ?
Rappelons tout d’abord que les autorités de la transition ont refusé de recevoir les émissaires de l’organisation sous-régionale pour faire un point sur l’avancement du chronogramme de 24 mois. Cela étant rappelé, cette attitude est révélatrice de la volonté de la junte guinéenne de se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible. Les élections sont en queue de peloton de ses priorités. La junte est plus occupée à sévir contre les acteurs socio- politiques qui dénoncent ses dérives qu’à préparer les élections. Ce chronogramme de 24 mois n’était qu’un jeu de dupes pour le CNRD.
S’agissant de la CEDEAO, le discours de Mamadi Doumbouya trahit une méconnaissance profonde des traités fondateurs que la Guinée a ratifiés et du fonctionnement basique de l’institution sous-régionale. Quid du Protocole Additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en décembre 2001 qui, dès son premier article, stipule l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel, de même que tout mode non démocratique de maintien du pouvoir ? Dire que la CEDEAO dont la vocation était économique, doit cesser de se mêler de politique et privilégier le dialogue, revient également à nier le caractère éminemment politique de tout dialogue et la vocation même de l’organisation. Ce fut un moment de solitude particulièrement gênant pour lui.
Les dirigeants de la transition peinent à convaincre les partenaires dans le cadre de la mobilisation des moyens notamment les 600 millions de dollars devant permettre le retour à l’ordre constitutionnel. Qu’est-ce que cela vous dit ?
En comparant les ressources naturelles de l’Etat avec sa capacité à mobiliser des fonds, on se rend compte rapidement du caractère exorbitant et irréaliste de ce budget. Comment peut-on prendre le pays tout entier en otage en réclamant une rançon de 600 millions de dollars pour enclencher le retour à l’ordre constitutionnel ? Je vous propose quelques éléments factuels pour expliquer le caractère irréaliste de ce budget :
* 600 millions USD, c’est près de 20% des recettes attendues pour l’année 2023. Autant dire qu’avec le déficit du budget, l’État ne pourra quasiment rien mobiliser de ce montant.
* 600 millions USD représentent autant que tout ce que nous avons reçu comme dons des différents bailleurs sur 5 ans entre 2017 et 2021 qui s’élève à 640 millions USD. Comment dans ces conditions, en plus du contexte exceptionnel, peut-on espérer que quelqu’un donne à la Guinée en une année ou 2 ce qu’on a pu mobiliser en 5 ans dans un contexte normal ?
* La Guinée n’a, à ma connaissance, jamais reçu un montant aussi important en une fois en dehors des 750 millions de dollars reçus de Rio Tinto sous Alpha Condé. Comment peut-on raisonnablement élaborer un tel budget connaissant l’état de nos finances publiques à moins que l’objectif visé ne soit de trouver un prétexte pour se cramponner fermement aux rênes du pouvoir ?
Quelles étaient les attentes de l’UFDG lors du passage du colonel Doumbouya devant les dirigeants du monde ?
Nous attendions de Mamadi Doumbouya qu’il rectifie la trajectoire déviante de la transition en définissant les contours d’une transition consensuelle et inclusive, qu’il apaise le climat politique, qu’il plaide pour une assistance financière, une expertise technique, juridique, électorale des partenaires techniques et financiers traditionnels de la Guinée pour un retour serein à l’ordre constitutionnel par l’organisation d’élections libres et transparentes dont les résultats seraient acceptés de tous les Guinéens.
Nous attendions de Mamadi Doumbouya qu’il dise à ses compatriotes qu’il n’est pas tard pour sortir la Guinée des nombreux atermoiements dans lesquels elle est plongée. En lieu et place de les rassurer, il a éteint la flamme de l’espoir en leur indiquant qu’il ne parachèverait pas la longue lutte menée en vue de la sauvegarde des acquis démocratiques qu’il s’applique bien au contraire à détricoter au quotidien. Un vrai rendez-vous manqué !
Selon les observations de la responsable de la francophonie, la Guinée est le pays qui avance le mieux parmi les pays en transition, dans l’espace francophone. Quel est votre avis par rapport à ces propos de Mme Louise Mushikiwabo ?
Je renvoie simplement Madame Mushikiwabo au discours tenu hier par Mamadi Doumbouya et l’invite à nous dire si la violente charge du Président de la transition contre le modèle démocratique est conforme à l’esprit et aux objectifs de son organisation qui se pose comme un acteur de la paix et de la démocratie et qui contribue au renforcement des institutions de l’État de droit et au respect des droits de l’homme, tel qu’il ressort de ses textes. Je suis également frappée par la déconnexion de ses propos de la réalité que nous vivons. Considérer qu’en l’absence de Constitution, de Code électoral, d’Organe de Gestion des élections, d’opérateur technique, de Fichier électoral, la Guinée avance le mieux parmi les pays en transition, cela se passe de commentaires.
Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Tel : (00224) 666 134 023
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