Pour qui sonne le glas?
Des nations, des peuples et des dirigeants qui ne partagent pas les mêmes valeurs peuvent-ils vivre et évoluer dans une même organisation ? La question, de plus en plus, se pose au sein de la Cédéao, désertée par certains de ses membres…
Pendant trois mois, peu ou prou, la Cédéao a menacé d’intervenir au Niger. Mais, elle a fini par accepter, dimanche 10 décembre, le fait accompli. Les chefs d’État reconnaissent la réalité du nouveau pouvoir. Ils seraient prêts, à certaines conditions, à réexaminer les sanctions imposées aux putschistes. D’où vient alors l’impression que les dirigeants ouest-africains ont perdu la partie, face aux militaires de Niamey ?
Cette impression découle du fait qu’ils ont, effectivement, perdu la partie. Et, comme pour sauver un peu la face, tout en abandonnant leur intransigeance, ils en sont, presque, à quémander quelques concessions de la part des dirigeants actuels du Niger. De fait, ils ne sont plus maîtres du jeu, s’ils l’ont jamais été. En échange d’une levée des sanctions et de la reconnaissance du coup d’État, ils ne demandent plus que la libération du président Mohamed Bazoum, et une transition pas trop longue.
Nul doute que le pouvoir en place à Niamey fera mine de traîner des pieds, et de marchander quelque peu. Mais, pour ce pouvoir, cette offre équivaudrait à une petite victoire. Pour ce qui est de la brièveté de la transition, il ne coûte rien aux putschistes de l’annoncer, quitte à prendre ensuite leur temps, et y rester deux ou trois fois plus longtemps, sans que quelque organisation que ce soit ne se risque à les en déloger. Surtout pas la Cédéao, virtuellement finie, qui peine tant à faire valoir son autorité.
Finie, la Cédéao ? Risque-t-elle sérieusement de disparaître ?
Elle pourrait, puisque les signes d’une décadence inéluctable sont là, que des dirigeants peu enclins à toute remise en cause pourraient feindre d’ignorer, encore un certain temps. Mais, les États membres de la Cédéao ont perdu l’essentiel des valeurs qui faisaient leur force. Dans le brouhaha des dérives putschistes, l’on a même entendu, ici ou là, quelques-uns tirer prétexte, ces derniers temps, de ce que la Cédéao était une communauté économique, pour lui dénier toute raison de se mêler de politique et de démocratie. Comme si la viabilité de tout regroupement économique ne reposait aussi sur des valeurs, une éthique.
De la Communauté du charbon et de l’acier, dans les années 1950, à l’Union européenne, en passant par la Communauté économique européenne, l’Europe s’est construite par étapes successives, autour de biens alors indispensables à l’industrie automobile comme à l’armement. Mais, l’Union s’enrichissait aussi, au fil du temps, de valeurs de plus en plus élevées, tout comme certaines valeurs, depuis un demi-siècle, ont, au fur et à mesure, renforcés les intérêts économiques à la Cédéao. Il y a à peine dix ans, cette organisation était devenue une belle famille, incarnant les aspirations les plus nobles des peuples ouest-africains : État de droit, limitation des mandats, élections libres et transparentes… Ce bel édifice a subitement commencé à se fissurer, lorsque certains chefs d’État ont estimé devoir considérer ces valeurs communes comme autant d’options facultatives.
Mais, il y a eu, la semaine dernière, à Abuja, une standing ovation pour George Weah, parce qu’il avait reconnu sa défaite à la présidentielle. N’est-ce pas la preuve que ces valeurs demeurent ?
Oui. Sauf qu’il est vain d’acclamer le vaincu qui s’en va avec élégance, quand on manque de courage pour conspuer le battu qui s’incruste, envers et contre le choix des électeurs ! La fragilité de la Cédéao découle de la cohabitation, en son sein, de nations scrupuleusement respectueuses de la Constitution, avec d’autres, dans lesquelles on défigure et viole sans cesse la loi fondamentale. Elles ont peu à faire ensemble, et les reculs incessants de ces dernières années ont engendré une telle disparité entre ces peuples, que leurs dirigeants ne se valent pas, d’un État à l’autre.
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