Que sait-on de la Force du progrès, accusée d’être une «milice » pro Félix Tshisekedi dont des membres ont été condamnés à mort?

Le verdict sur cette milice a été rendu cette nuit du 8 au 09 août, au Tribunal de grande instance de Kinshasa Gombe qui vient de boucler une série d’audiences foraines dans l’affaire de l’attaque de la résidence de l’ex chef de l’État Joseph Kabila. Plusieurs personnes se présentant comme membres de la Force du Progrès, une structure proche du parti présidentiel UDPS, étaient sur le banc des accusés.
Le tribunal de Grande instance de Kinshasa/Gombe poursuivait depuis vendredi dernier des présumés assaillants, soupçonnés d’avoir participé à l’attaque de la résidence de Joseph Kabila mercredi 31 juillet.
Selon le verdict rendu, 6 membres de la « Force du Progrès » de l’UDPS ont été condamnés à mort pour « tentative de meurtre après avoir attaqué la résidence de Joseph Kabila ». 10 autres membres de la milice ont écopé de 10 ans prison pour association de malfaiteurs.
L’attaque de la résidence de Joseph Kabila

L’attaque s’est soldée par la destruction de plusieurs biens, dont des voitures stationnées dans la résidence, en pleine capitale.
Plus de 70 personnes sont à la barre, dont plusieurs se réclament être membres du parti au pouvoir l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UDPS. Ceux-ci se sont identifiés comme membres de la structure Force du Progrès.
Le jour de l’attaque, certains d’entre eux portaient des T-shirts à l’effigie du président congolais.
« Kabila héberge des ennemis du pays dans son enclos. Il veut renverser le pouvoir du président Tshisekedi » peut-on entendre des assaillants crier dans des vidéos amateurs filmées lors de l’attaque.
Dans un premier temps, le parti présidentiel a publié un communiqué se distançant de ce groupe. Tout en condamnant l’attaque, la présidence du parti a rappelé l’aspect non-violente de sa lutte et appelé les autorités à ouvrir une enquête.
Coté officiel, le gouvernement a aussi communiqué, expliquant que les éléments en sa possession suggèrent que cette attaque visant la résidence de Joseph Kabila n’était pas préméditée.
Un avocat de la défense, Maître Joël Kitenge, membre de l’UDPS, a ouvertement menacé le responsable de la police provinciale de Kinshasa. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, l’avocat reproche au Général Blaise Kilimba Limba ses opérations contre ces jeunes qui s’identifient comme membres du parti présidentiel. Le chef de la police a porté plainte contre l’avocat-conseil du Force de Progrès. Ce dernier a retiré ses propos via les réseaux sociaux, s’est exilé dans un pays voisin et fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt.
Pourquoi les jeunes de la Force du Progrès suscitent de l’inquiétude
Les activités des jeunes qui se présentent comme membres de la Force du Progrès soulèvent des questions au sein de l’opinion congolaise depuis des années. Certains acteurs de la vie socio-politique accusent le groupe d’usurpation de fonction, se substituant parfois aux forces de l’ordre.

L’épisode le plus récent date d’il y a un peu plus d’un an. Après des manifestations de l’opposition du 20 mai 2023, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), a affirmé que ses moniteurs ont remarqué une certaine proximité entre les forces de l’ordre et des civils armés des machettes, bâtons, pierres, etc.
« Certains éléments de la Police nationale étaient porteurs des mêmes outils de violence qu’ils échangeaient visiblement avec des individus en tenue civile, dont certains portaient le dorsal B.S.U ou Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du progrès » déclare un communiqué de la CENCO.
« Avec une telle complicité affichée publiquement, on se demande si cette Brigade Spéciale n’est pas une milice officiellement entretenue » s’interrogent les prêtres catholiques.
Les moniteurs envoyés par l’Église catholique sur terrain pour suivre ces manifestations ne sont pas les premiers à alerter sur la B.S.U.
En début mai 2022, une vidéo circulait sur la toile montrant des hommes en tenue militaire de couleur kaki, portant un béret rouge. Leur tenue porte la mention B.S.U, Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du progrès.
Dans la vidéo de moins d’une minute, on entend un homme expliquer en lingala : «Ceux-ci sont des éléments qui ont reçu une formation accélérée pour protéger l’UDPS, Force du progrès. Il y a des gens qui veulent fragiliser l’UDPS pour diminuer l’influence de l’UDPS, Force du progrès. Mais, ils ne réussiront pas. »

Deux semaines plus tard, la coordination des organisations de la société civile de Lualaba, dans le sud du pays, saisit le président de la République Démocratique du Congo, Félix Antoine Tshisekedi par écrit.
« Le parti au pouvoir se prépare-t-il pour emmener le pays dans une guerre civile ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pour quel intérêt former une milice et tolérer l’existence de tant d’autres ? » questionne la correspondance datée du 19 mai 2022. Elle faisait allusion à la vidéo des éléments de la B.S.U qui circulait sur internet.
Il faudra attendre un mois avant que la Brigade Spéciale de l’UDPS ne fasse encore parler d’elle. Cette fois, des hommes en tenue civile et d’autres en uniforme de la B.S.U effectuent une descente dans un quartier de Kinshasa où ils procèdent à la fouille des voitures. Ils cherchent des personnes à la morphologie nilotique. Ils les soupçonnent d’être en connivence avec les rebelles du M23 qui attaquent l’armée loyaliste dans l’Est du pays.


Ces images, qui rappellent des scènes des documentaires sur le génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda, choquent le monde. Des condamnations fusent de partout.
Le soir même, Augustin Kabuya, secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UDPS, publie un communiqué.
« L’UDPS condamne avec véhémence les vidéos qui circulent dans les réseaux sociaux montrant quelques individus clairement identifiables s’acharnant sur d’autres citoyens, rependant les discours tribalistes et xénophobes. Elle ne reconnait pas ces personnes comme faisant partie de ses rangs et les désavoue totalement, » signe-t-il.
Le communiqué de l’UDPS qualifie ces faits de « cabale savamment montée de toute pièce par des ennemis qui tentent cyniquement de ternir l’image de marque de notre pays sur le plan international. »
Quelques jours plus tard, la police nationale congolaise a annoncé l’arrestation des personnes accusées d’avoir participé à cette opération de la B.S.U.
C’est dans ce contexte que Juvénal Munubo, à l’époque député national, a adressé une correspondance à Daniel Aselo Okito qui etait vice-Premier Ministre, Ministre de l’intérieur. L’élu du Nord Kivu voulait comprendre le rôle de la B.S.U au sein du parti au pouvoir. N’ayant pas reçu de réponse écrite, Monsieur Munubo a déclaré avoir discuté de la question avec les responsables du parti présidentiel.
La Force du progrès mais pas de Brigade Spéciale
La structure dénommée « Brigade Spéciale de l’UDPS, Force du progrès » ne figure nulle part dans les statuts du parti au pouvoir. On y retrouve plutôt la ligue des jeunes. Celle-ci regroupe des organisations, des associations et mutualités des jeunes âgés entre 18 et 35 ans. Sa mission est de « recruter, d’encadrer, de former et de mobiliser ses membres, » indiquent les statuts.
Bien qu’ayant la liberté de s’organiser, la ligue des jeunes est rattachée à la présidence du parti, au niveau national.
Sur ses canaux de communication, la structure « Force du progrès » se réclame de l’UPDS et dit avoir été créé par l’un des fondateurs de l’actuel parti au pouvoir, l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Mais des sources proches du leadership remettent en question cette assertion.

« La Force du progrès est une structure informelle, comme tant d’autres qui composent la ligue des jeunes de l’UDPS » explique un cadre du parti qui a requis l’anonymat. Il ajoute que la structure a été créée sous la bénédiction d’Etienne Tshisekedi mais pas directement par lui.
Ce cadre affirme qu’à un moment, la structure a recruté des jeunes désœuvrés sans éducation supérieure. « L’objectif était de leur donner un espace de participation politique, sous l’égide de la ligue des jeunes » poursuit-t-il.
Le cadre note toutefois que « certains de ces jeunes sont devenus difficiles à encadrer. À cause de leur vulnérabilité économique, ils sont à la merci de ceux qui leur proposent de l’argent et peuvent les manipuler. »
« Maintenant que l’UDPS est au pouvoir, même des brigands et des criminels prétendent être membres de la Force du progrès pour pouvoir commettre des forfaits sans être inquiétés » regrette un ancien membre du parti au pouvoir.
Y a-t-il un lien entre la Brigade Spéciale de l’UDPS et la Force du progrès ?

Les responsables du parti politique contactées par la BBC sont catégorique : il n’existe aucune structure reconnu par le parti qui se nomme « Brigade Spéciale de l’UDPS Force du progrès. »
Toutefois, l’expert en questions politiques, géostratégiques et militaires en Afrique, Jean-Jacques Wondo Omanyundu, évoque l’existence d’un groupe des militants de l’UDPS qui auraient suivi une sorte de formation paramilitaire.
« Il n’y pas une hiérarchie constituée pour les désigner. On n’a pas de preuve de financement de ces entités. Mais on sait qu’elles sont proches de certains responsables politiques du pouvoir, » a-t-il déclaré à la BBC quelques mois avant son arrestation. Jean-Jacques Wondo est poursuivi dans l’affaire de la tentative ratée de coup d’Etat contre Félix Tshisekedi. Mais il a toujours clamé son innocence.
BBC Afrique n’a pas pu trouver un texte de valeur juridique liant la Brigade Spéciale de l’UDPS à la Force du progrès ni au parti présidentiel.
De son côté, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, UPDS, rejette en bloc toutes ces allégations.
« Il y a des jeunes qui ont dédié toute leur vie à l’UDPS et n’ont pas pu poursuivre des études supérieures ni se construire une carrière. Cela ne fait pas d’eux des personnes à moralité douteuse, moins encore des analphabètes, » lance Edouard Kazadi, l’un des porte-paroles de la structure Force du progrès.
Rassurant avoir un contrôle total sur les membres reconnu, il réitère que la Force du progrès a été victime d’une usurpation d’identité.
« Les autorités nous ont interpellé après la circulation de ces vidéos sur internet. Nous leur avons expliqué que notre structure ne reconnait pas l’existence d’une certaine Brigade Spéciale de l’UDPS. C’est une fabrication de nos adversaires politiques »
Des potentiels escadrons de la mort
Jean Jacques Wondo avait partagé sa crainte que « si ces groupes s’associent à d’autres, ils peuvent devenir des escadrons de la mort, et instaurer un terrorisme d’Etat urbain. Puisqu’il y a des quartiers où le pouvoir n’est pas bien accepté, et où les populations peuvent aussi s’organiser pour riposter. »
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