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Royaume-Uni : la Cour suprême juge illégal l’expulsion de migrants au Rwanda malgré la décision de la Cour suprême

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Malgré la décision des hauts magistrats britanniques, rendue mercredi, Londres et Kigali ont à nouveau fait part de leur «ferme» volonté de mener à bien ce projet.

Le premier ministre britannique Rishi Sunak et le président rwandais Paul Kagame ont exprimé mercredi leur «ferme engagement» à mettre en oeuvre leur projet prévoyant des expulsions vers le Rwanda de migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni, qui vient d’être jugé illégal par la Cour suprême britannique.

Lors d’un entretien téléphonique, «les deux dirigeants ont réitéré leur ferme engagement à faire fonctionner (leur) partenariat en matière d’immigration et ont convenu de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que cette politique soit solide et légale», a indiqué Downing Street dans un communiqué.

La Cour suprême britannique juge le projet illégal

Plus tôt dans la journée, la Cour suprême britannique avait jugé mercredi illégal le projet hautement controversé du gouvernement d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni. Les cinq hauts magistrats ont, à l’unanimité, rejeté le recours du ministère de l’Intérieur et ont confirmé la conclusion de la cour d’appel selon laquelle cette politique est illégale. Cette décision qui, a insisté le président de la Cour suprême Robert Reed, se fonde sur des raisons légales et aucunement politiques, sonne le glas dans l’immédiat d’une mesure phare dans la politique de lutte contre l’immigration illégale du premier ministre conservateur.

Le dirigeant a indiqué que le gouvernement comptait à présent «examiner les prochaines étapes» et a fait valoir que la Cour suprême «a confirmé que le principe d’envoyer des migrants clandestins vers un pays tiers sûr est légal». Si Rishi Sunak a pu se réjouir en début de matinée d’avoir rempli son objectif de diviser par deux l’inflation, cette décision à peine trois heures plus tard sonne comme un lourd revers pour le premier ministre et sa promesse d’«arrêter les bateaux» de migrants sur la Manche.

Le chef du Parti travailliste, Sir Keir Starmer

Plus de 27.000 migrants ont depuis le début de l’année effectué la traversée, contre 45.000 en 2022, un record. Annoncé il y a un an et demi, à l’époque sous le gouvernement de Boris Johnson, le projet d’envoyer au Rwanda des migrants – quelle que soit leur origine – n’a jamais été mis en œuvre. Mi-2022, un premier vol avait été annulé in extremis après une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Puis fin juin dernier, la cour d’appel de Londres a jugé le projet «illégal», estimant que le Rwanda ne pouvait en l’état être considéré comme un «pays tiers sûr».

Risque de «persécutions»

Les juges avaient estimé qu’il existe «un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient (ensuite) renvoyées dans leur pays d’origine où elles étaient en proie à des persécutions et autres traitements inhumains». Un raisonnement validé mercredi par la Cour suprême. L’accord avec le Rwanda prévoyait que Londres verse en contrepartie à Kigali 140 millions de livres sterling (160 millions d’euros), une somme affectée à l’aide au développement et à la prise en charge des migrants expulsés, dans l’idée qu’ils s’établissent dans le pays d’Afrique.

Dans une lettre acerbe répondant mardi à son limogeage la veille, l’ex-ministre de l’Intérieur Suella Braverman a accusé Rishi Sunak d’«irresponsabilité» et d’avoir échoué à préparer un «plan B crédible» en cas d’échec. Le chef de l’opposition travailliste Keir Starmer avait d’ores et déjà averti qu’il reviendrait sur ce projet s’il accédait à Downing Street. «Ce n’est pas la bonne politique et c’est extrêmement coûteux», a-t-il déclaré.

Lors de l’audience le mois dernier devant la Cour suprême, l’avocat du Home Office, James Eadie, avait assuré qu’il existait une «nécessité pressante de prendre des mesures qui aient un effet dissuasif» pour ceux qui entreprennent ces «périlleuses traversées».

Une décision contestée par Kigali

Kigali a «contesté» la décision de la Cour suprême britannique, a affirmé à l’AFP la porte-parole du gouvernement rwandais. «Il s’agit en fin de compte d’une décision qui relève du système judiciaire britannique. Cependant, nous contestons la décision selon laquelle le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr pour les demandeurs d’asile et les réfugiés», a déclaré Yolande Makolo.

 

Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement rwandais: “le Rwanda accueille plus de 75 000 réfugiés congolais« .

 

En matière de droits humains, le Rwanda, dirigé d’une main de fer par Paul Kagame, est régulièrement épinglé pour sa dure répression des oppositions politiques et son non-respect de la liberté d’expression. «Nous prenons nos responsabilités humanitaires au sérieux et continuerons à nous en acquitter», a affirmé Yolande Makolo.

Le leader du principal parti d’opposition, le Parti vert démocrate du Rwanda, Frank Habineza, a de son côté «salué la décision de la Cour suprême du Royaume Uni». «Nous pensons que des pays comme le Royaume-Uni ne devraient pas transférer leurs obligations au Rwanda», a-t-il poursuivi, affirmant que l’accord ne respectait pas «les droits fondamentaux des demandeurs d’asile».

«Graves préoccupations»

Intervenant dans la procédure, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), avait estimé qu’un «système d’asile accessible, fiable, juste et efficace» faisait défaut au Rwanda et a rappelé qu’il a «invariablement exprimé de graves préoccupations» dans ce dossier.

Le gouvernement n’a cessé de durcir son discours sur l’immigration. En juillet, Londres a voté une loi interdisant aux migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni de demander l’asile, indépendamment des raisons qui les ont poussés à fuir leur pays.

L’ONU a dénoncé une loi contraire au droit international et s’est inquiétée que «d’autres pays, y compris en Europe» soient tentés de suivre ce chemin. L’expulsion de migrants vers le Rwanda figure parmi un éventail de mesures gouvernementales britanniques qui ont toutes suscité une farouche opposition, qu’elle vienne de défenseurs des droits humains ou parfois même de membres de la majorité.

Par Le Figaro avec AFP

In. https://www.lefigaro.fr/international/royaume-uni-la-cour-supreme-juge-illegal-d-expulser-des-demandeurs-d-asile-au-rwanda-20231115

Image de la UNE : Une manifestante à l’extérieur de la Cour suprême britannique à Londres, le 15 novembre 2023, demande l’abandon de la politique migratoire renvoyant des demandeurs d’asile au Rwanda. © Kirsty Wigglesworth / AP

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