Contre La sansure

Salifou Modi, le grand perdant ou l’officier maudit ?

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L’ abécédaire ou bréviaire des coups d’Etat aussi bien en Afrique, au Niger que dans le reste du monde, souligne la déchéance inéluctable des numéros 2, hommes réputés forts, au début. Tous, tirent leur révérence dans l’humiliation, parfois aussi hélas au prix de leur vie. Ils finissent ces faiseurs de roi devenus par la force des choses encombrants pour les putschistes en chef, dans les poubelles de l’histoire, pleins de remords et de regrets. Qui règne par les armes, périra par les mêmes armes.

L’officier Salifou Modi, un homme avisé et intelligent, dont l’audience et l’influence auprès de ses frères d’armes était considérable avant qu’il ne pactise avec le général Aboudrahmane Tchiani, risque d’inscrire son nom dans la loi des séries des révolutions qui dévorent ses propres enfants. Affublé, pompeusement, du manteau de numéro 2 de la junte nigérienne, autant dire, cantonné à une fonction honorifique et purement protocolaire, sans contenu ni substance, il joue gros dans son ralliement de dernière minute , incongru aussi, à l’ancien chef de la garde présidentielle et chef d’Etat auto-proclamé d’un Niger imaginaire.

L’ex-chef d’état major général des forces armées nigériennes n’a pas été associé au coup d’état ni n’a été impliqué à sa préparation encore moins n’en a été un des artisans. D’ailleurs, il n’avait eu de cesse de prévenir le président Mohamed Bazoum de l’intention du général Tchiani de le destituer et renverser son régime. Salifou Modi avait demandé, ces deux dernières années, avec insistance, au Président légitime et indétrônable du Niger, de se méfier de son présumé tombeur, à ses yeux, un ombrageux personnage, engagé dans la subversion.

Lui, qui avait appelé à éloigner le général Aboudrahmane Tchiani de la sphère présidentielle et du commandement militaire, comment peut-il le rejoindre dans sa forfaiture, étant entendu que la moitié de l’homme est la moitié d’un traître assumé et vulgaire ? Qu’espère-t-il d’un soldat qui a violé son sacro-saint serment , d’un homme ayant trahi l’immense confiance placée en lui par le Président Mohamed Bazoum devenu son otage, séquestré par lui ?

Le Général Salifou Modi, qui s’est compromis, a hypothéqué aussi son avenir avec une colonne de l’Armée anti-républicaine et aventurière, se doute bien qu’il a mis le doigt dans un infernal engrenage. Soit, il périt avec une junte, en sursis, à l’article de la mort, ou il finit au bout d’un crochet comme tous ceux qui ont contribué à l’avènement d’une junte ou en ont été les maillons forts.

En remontant le temps pour faire une rétrospective des coups d’Etat, on voit défiler une cohorte d’officiers qui ont joué les premiers rôles avant de tomber en disgrâce, voire d’être éliminés, au propre comme au figuré. Retour sur le parcours tragique d’hommes liges passés, tous, à la trappe.
Le 19 novembre, 1968, le futur général Moussa Traoré, accède au pouvoir au Mali à la suite d’un coup d’Etat. Un comité militaire de libération nationale, CMLN, présidé par lui , voit le jour. Le nouveau Chef de l’Etat se fait seconder par Yoro Diakité, promu premier ministre et numéro 2 de la junte. L’idylle tourna court. Peu de temps après, le Premier ministre, esseulé, fut démis, brutalement, de ses fonctions. Jugé pour haute trahison et condamné à mort , il sera déporté dans le sinistre bagne de Taoudéni, en plein désert, où il décédera dans des conditions horribles, le 13 juin 1973.
Au Benin, Mathieu Kérékou, perpétra un coup d’Etat en 1972. À ses côtés, dans la posture d’homme clé et numéro 2 le capitaine Michel Aïkpe, nommé tout puissant ministre de l’intérieur et de la sécurité. Contre toute attente, le puissant ministre sera froidement assassiné le 29 juin 1975, accusé d’être …l’amant de l’épouse du chef de l’Etat. Fin de l’histoire.

Au Niger, théâtre de nombreux coups d’Etat, le 15 avril 1975, Seyni Kountché renverse le régime du Président Hamani Diori. Il s’était appuyé sur le commandant Sani Souna Sido, homme de main du Président déchu et confident aussi de sa femme. Dans la foulée, il a été porté sur les fronts baptismaux, un conseil militaire suprême. Seyni Kountché en prendra la tête suppléé par le commandant Sani Souna Sido.

Le 3 août 1975, le Président du conseil militaire suprême, annonça laconiquement, l’arrestation de son vice-président et homme fort de son régime. Il dira à l’occasion pour marquer la fin d’une certaine dyarchie au sommet de l’Etat : « Le bateau du Niger n’a qu’un seul maître. »
L’infortuné officier sera conduit , manu militari, dans la région d’Agadez où il fut exécuté sommairement, sur instruction expresse de Seyni Kountché.
En 2010, le Président Mamadou Tandja, sera cueilli à froid, pendant qu’il présidait un conseil des ministres par Salou Djibo et ses hommes qui s’emparent aussitôt du pouvoir. Un conseil militaire de restauration de la démocratie sera installé comme nouvel organe dirigeant du pays.

Salou Djibo en est le Président en même temps qu’il est désigné Chef de l’Etat. Son compère, Abdoulaye Badje est catapulté vice-président et secrétaire permanent du C MRD, donc second personnage de l’Etat. 3 mois à peine, il est révoqué de ses fonctions et mis aux arrêts. Il ne recouvrera la liberté qu’après l’élection de Mahamadou Issoufou à la Présidence de la République à l’issue de la transition dirigée par son frère d’armes.

En Guinée, le 3 avril 1984, un comité militaire de redressement national prend la direction du pays après le décès du Président Ahmed Sékou Touré. Le colonel Lansana Conté est choisi par ses pairs pour occuper les fonctions de Chef de l’Etat. Le colonel Diarra Traoré a été nommé Chef du gouvernement par lui. La cohabitation entre les deux fortes têtes du régime souffre de rivalités matinales. Se sentant marginalisé et affaibli, le colonel Diarra Traoré, tente de déposer le général Lansana Conté. Avant de passer à l’acte, il fut neutralisé avec ses compagnons. Il mourra des sévices qui lui ont été infligés pour le punir d’avoir tenté de prendre le pouvoir. Une page sombre de l’histoire contemporaine de la Guinée.

Le 22 juillet 1994, en Gambie, Yahya Jammeh s’imposa à la tête de l’Etat par un coup de force réussi. Il marqua son territoire par la mise en place d’un conseil provisoire de gouvernement des forces armées dirigé par lui-même. En guest star, Sana Sabbaly, dans le rôle secondaire de vice-président. C’est lui qui supervisa, en personne, l’exécution d’une vingtaine de soldats soupçonnés de fomenter un coup d’Etat. Un an plus tard, il fut arrêté et conduit en prison. Après 9 longues années de détention, il se réfugia au Sénégal voisin d’où il partira pour l’Allemagne où il a trouvé asile.

Sadibou Haydara, arrêté, en même temps que lui connaîtra un destin tragique, mort, en détention dans les geôles gambiennes, de triste réputation.
Au Burkina Faso, en 1987, le groupe d’officiers qui s’est emparé des rênes de l’Etat n’a pas survécu. Thomas Sankara qui en était le leader fut assassiné dans des circonstances non encore élucidées au profit de son alter égo, Blaise Compaoré qui lui succédera à la tête du pays. Quant aux autres, Henri Zongo, Jean-Baptiste Lingani, quelques mois après, ils furent appréhendés avant d’être passé par les armes.

En Mauritanie, le 12 décembre 84, Ould Taya porte l’Armée au pouvoir. Djibril Ould Abdallah devient le numéro 2 et premier flic du pays. Un statut privilégié qui lui confère les pleins pouvoirs faisant de lui un homme craint et respecté. En 1999, il fut renvoyé du gouvernement. L’ex-tout puissant ministre entame alors une longue traversée du désert et connut des jours extrêmement difficiles, vivant dans le dénuement total et oublié de tout le monde.

24 décembre 1999, en Côte d’Ivoire un quatuor de généraux met fin à la Présidence de Henri Konan Bédié. Le général Robert Guéi, admis à faire valoir ses droits à la retraite prend les commandes du pays à la tête d’un conseil de salut public. Le ministère de l’intérieur et de la sécurité est confié au Général Palenfo qui devient de facto le numéro 2. Le général Abdoulaye Coulibaly officie comme no 3 .
9 avril 2000, le groupe se disloque avec l’accusation de tentative de coup d’état portée contre les compagnons du Chef de l’Etat qui se voient décerner un mandat d’arrêt. Tous se réfugient à l’ambassade du Nigéria jusqu’à la fin de la transition marquée par la victoire de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle. Celui-ci, les fera arrêter en novembre 2001 avant de les traduire devant les tribunaux le mois de décembre suivant.

Le Général Salifou Modi, en revisitant le passé récent de son pays, en partant des exemples éloquents d’autres officiers qui ont eu partie liée avec des auteurs de putschs, a des raisons de s’inquiéter, outre mesure, pour son sort. Il a été mal inspiré d’intégrer, bêtement, un groupe d’officiers fêlons et fait un pari dangereux de cautionner un coup d’Etat insensé et absurde qui provoque la ruine du Niger et suscite l’indignation du monde entier.

On ne peut danser avec le diable et s’attendre à entrer au paradis. Chacun est son propre bourreau et les portes de l’enfer restent toujours ouvertes pour les renégats et traîtres impénitents. Passer de vie à trépas, il n’y a qu’un pas qu’il faut espérer que le Général Salifou Modi ne franchira pas avec des putschistes voués au déshonneur et à la guillotine pour avoir commis le pêché capital de traîner le Niger dans la boue en voulant assassiner sa démocratie, d’entraîner son peuple dans l’ornière en essayant de le maintenir dans une camisole de force.

Samir Moussa
Niamey, Niger

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