Sénégal : faut-il craindre pour les investissements ?
Coupure d’internet mobile, répression des manifestants, marche interdite…, le Sénégal continue de s’enliser dans la crise. Si certains investisseurs refusent de paniquer, dans le pays, on craint une dégénération de la situation qui mettrait un coup de frein à une belle dynamique économique en constante évolution depuis plusieurs années.
2,6 milliards de dollars, c’est le record d’investissements directs étrangers (IDE) drainés par le Sénégal en 2022, au moment où la Cnuced observait une baisse généralisée des IDE sur le continent africain. Et ici, les IDE connaissent une progression ininterrompue depuis 2013 où le pays avait reçu un peu plus de 311 millions de dollars. La même tendance était attendue pour 2023 dont les chiffres ne sont pas encore dévoilés. Des données qui démontrent l’attractivité du Sénégal pour les investisseurs. Une attractivité que le gouvernement a d’ailleurs voulu décupler en créant l’été dernier le forum Invest in Senegal qui a attiré nombre d’investisseurs dans la ville nouvelle de Diamniadio. « Notre premier investissement, celui qui doit attirer et faire prospérer tous les autres, c’est d’abord la paix, la sécurité, la stabilité et l’Etat de droit », déclarait alors le président Macky Sall, se voulant rassurant sur la volonté du Sénégal de garantir un climat des affaires propice à la floraison de projets.
Aujourd’hui, cette « paix » menacée interroge quant à la dynamique d’investissement dans ce pays d’Afrique de l’Ouest dont la tradition démocratique a souvent été un gage d’assurance pour tous ceux intéressés à miser sur ce marché aux 16,88 millions de consommateurs. Après les différents événements qui ont alimenté la période de sélection des candidats, le report de la présidentielle – du 25 février au 15 décembre prochain – intervenu à quelques heures du lancement de campagne présidentielle, continue de secouer le pays. Hier, mardi, les Sénégalais ont dû subir à nouveau la suspension de l’internet mobile, alors qu’était prévue une grande marche silencieuse interdite par les autorités. Les institutions africaines (Union africaine, CEDEAO) ont exprimé leur préoccupation, tandis que l’Union européenne s’est dite « inquiète », d’autant que les manifestations ont déjà donné lieu à trois morts, demandant aux autorités sénégalaises de garantir le « respect des libertés fondamentales de l’Etat de droit, de la Constitution et des normes internationales souscrites par le Sénégal.
Des investisseurs « surpris » !
Naturellement, la communauté des investisseurs a été « surprise » par la tournure des choses dans le pays, même si certains préfèrent observer le silence pendant cette période de crise, comme c’est le cas à la Chambre de commerce européenne au Sénégal (EuroCham Sénégal) qui regroupe plus de 180 entreprises à capitaux européens et implantées à travers le pays. Ici, on se refuse à tout commentaire dans la presse. Le Conseil des investisseurs français en Afrique (CIAN) en revanche ne s’en cache pas. « La situation est assez surprenante vu que c’est arrivé d’une manière brutale. Il n’y avait pas tellement de signes annonciateurs de ce report des élections », indique à La Tribune Afrique Etienne Giros, président du CIAN qui dit suivre la situation « de très près ».
Cette crise sénégalaise, l’économie en est l’autre victime : circulation fluide dans une capitale habituellement très embouteillées, des commerces fermés pendant plusieurs heures dans la journée, des entreprises parfois sur le qui-vive… « Dès les premiers jours qui ont suivi l’annonce du président, on a senti une légère paralysie économique, surtout lors des coupures de l’internet mobile. Et tel que les choses se déroulent depuis lors, on s’attend à un ralentissement de l’économie », estime Dr Mor Gassama, économiste et enseignant-chercheur à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar. « Et même si les gens finalement vaquent à leurs occupations, ce qui se dessine n’est pas rassurant », ajoute-t-il.
Un bel élan économique court-circuité ?
Pourtant si le Sénégal est devenu terreau fertile pour les investissements, c’est aussi grâce à son dynamisme économique, catalysé ces dernières années par le plan Sénégal Emergent. A quelques exceptions près comme pendant la crise Covid qui a plombé l’économie mondiale, la croissance sénégalaise affiche habituellement l’une des meilleures performances de la région. Après le ralentissement enregistré sur la période post-Covid, la croissance du PIB est remontée à plus de 5,3% en 2023, notamment grâce au secteur gazier et pétrolier, un secteur qui favorise également de belles perspectives pour l’avenir à court et moyen terme selon les autorités qui tablaient sur une croissance de 8,4% pour cette année 2024. « Notre pays est en train d’émerger. Nous avons aujourd’hui un taux de croissance qui est parmi les meilleurs en Afrique […] à partir de 2025, nous allons rentrer dans un cycle qui va peut-être durer une dizaine, une quinzaine d’années avec un taux de croissance à plus de deux chiffres », confiait en décembre dernier sur Africa 24 Abdoulaye Balde, directeur général de l’agence pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX).
Récemment, le Fonds monétaire international (FMI) aussi, prévoit des « perspectives de croissance solides » pour le Sénégal, en raison de son programme de réformes jugé « ambitieux », devant lui permettre de maintenir sa dynamique de croissance. Pour ces raisons, l’institution de Bretton Woods a décidé de débloquer 2 milliards de dollars, afin d’aider ce pays d’Afrique de l’Ouest à « remédier ses déséquilibres macroéconomiques » et à « relever les défis structurels à plus long terme liés au changement climatique », comme l’expliquait dans un entretien avec LTA Edward Gamayel, chef de mission au FMI pour le Sénégal. Un appui du Fonds motivé aussi par la bonne presse dont jouit le Sénégal auprès des investisseurs privés. « Le dynamisme et les investissements du secteur privé ont joué un rôle essentiel dans la croissance du PIB réel au Sénégal au cours de la dernière décennie ». Pourtant, le climat d’instabilité qui s’installe est l’un des indicateurs qui suscite souvent le refroidissement des investisseurs. « Ce ne serait qu’une suite logique de la situation actuelle et cela n’étonnera personne. On sait très bien que la notion de risque est très importante pour les investisseurs et ce genre de situation n’est pas rassurante », estime Dr Mor Gassama.
« Pas de panique » chez les investisseurs français
Du côté du CIAN cependant, on prône le calme. « La situation est tendue en ce moment, mais il n’y a pas de panique au sein des entreprises françaises », confie Etienne Giros qui estime que si les entreprises situées près des zones de manifestation font plus attention, l’existence d’un agenda électoral de substitution rend la situation « plus gérable ». « A mon avis, les choses auraient davantage dégénéré s’il n’y avait pas une date proposée pour les élections », remarque-t-il, soulignant qu’il s’agit d’un facteur qui aide à ne pas faire plonger les acteurs économiques dans le pessimisme.
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