Contre La sansure

William Bourdon: «Plus les libertés publiques reculent, plus les lanceurs d’alertes seront indispensables»

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Il est l’avocat emblématique des affaires de biens mal acquis. William Bourdon publie Sur le fil de la défense, aux éditions du Cherche-Midi, un livre dans lequel il raconte ses quarante années de combat contre l’argent sale et pour la transparence financière, notamment en Afrique centrale.

Le fondateur de l’ONG Sherpa se revendique comme un avocat de gauche. Mais est-il pour autant un idéologue et un justicier ? Et que répond-il à ceux qui l’accusent d’être financé par le milliardaire américain George Soros ? L’avocat parisien répond sans détours aux questions de RFI.

RFI : Ce qu’on voit dans votre livre, c’est que vous n’êtes pas un justicier jusqu’au-boutiste. Vous reconnaissez qu’il vous est arrivé de conclure des arrangements avec de grands groupes industriels, par exemple avec Areva, au Niger et au Gabon, en échange de la création d’observatoires de santé sur chaque site minier. Vous dites même que cela a fâché l’ONG Survie, qui a rompu avec vous à l’époque…

William Bourdon : Alors, il y a deux accords. Il y a cet accord que j’ai passé en 2005, dont je suis très fier, qui est l’accord avec le groupe Total, qui a abondé un compte dédié d’une somme de plus de cinq millions d’euros. C’était sans précédent. C’était inédit. Ça a changé la vie de milliers de réfugiés birmans à la frontière…

En Birmanie ?

En Birmanie. Donc il ne s’agit pas du tout de mettre ses convictions dans son mouchoir, mais quand on est mandatés par des centaines de personnes pour qu’il y ait des modalités d’indemnisation, qu’est-ce qu’il faut ? Continuer sous la flotte à taper le macadam place de la République [à Paris] et dénoncer Total, les crimes contre l’humanité, etc., etc. ? Ou bien trouver des solutions pratiques ? Moi, j’ai considéré que respecter mon mandat, c’était de trouver une solution pratique. Quant à l’accord avec Areva, j’en suis également très fier, ça a changé la vie, je le sais pour avoir été sur place. Ce n’est pas du tout aussi parfait qu’on l’aurait souhaité, mais a été mis en place un système de veille sanitaire des travailleurs, des anciens travailleurs, sur le site d’Arlit au Niger et sur un site du Gabon. Survie a résilié toute relation avec moi sur une base idéologique, qui était : on ne doit pas négocier avec un géant du nucléaire. Je reste très fier de ce que j’ai fait et j’ai été salué par des chefs touaregs à Arlit qui m’ont dit : « Bravo William pour ce que tu as fait. »

Et aujourd’hui, quatre mois après la chute de la dynastie Bongo, est-ce que vous pensez qu’une partie des biens mal acquis par la famille Bongo pourrait être récupérée par l’État gabonais ?

Si les nouvelles autorités gabonaises – elles n’ont pas besoin de moi, je les y invite – font une demande de commission rogatoire vers le juge français, en disant : « Nous voulons établir une coopération, nous mettons à la disposition du juge français Serge Tournaire toutes les archives des finances publiques qui lui permettront de tracer plus facilement un certain nombre de flux et de détournement d’argent public. Nous voulons être partie prenante des mécanismes de restitution », bienvenue messieurs, allez-y.

Un reproche que l’on vous fait souvent en Afrique, William Bourdon, c’est le double standard. Pourquoi vous traquez le patrimoine du Congolais Denis Sassou-Nguesso, ou de l’Équato-Guinéen, Teodoro Obiang Nguema, et pas le patrimoine du Saoudien, Mohammed ben Salmane, ou du Qatari, Hamad al-Thani ?

Évidemment, il y a les pays du Golfe. Tout le monde y pense. Sur les monarchies du Golfe, il y a une vraie difficulté, qui est une difficulté institutionnelle, qui est la confusion entre le patrimoine privé et le patrimoine d’État, liée à la logique dynastique de ces régimes. Donc il y a une espèce d’institutionnalisation des biens mal acquis, presque constitutionnelle. C’est un élément de complexité qui n’est pas forcément un obstacle insurmontable, c’est certainement un chantier qui devrait s’ouvrir dès que possible.

Maître Bourdon, comme vous l’écrivez, on vous a accusé d’être un agent du milliardaire américain George Soros, vous dites ne l’avoir jamais rencontré, mais est-ce qu’il vous a aidé financièrement ?

Ça a été une des premières attaques lorsque j’ai commencé les premières procédures. Sherpa est financée par Soros. Alors, on a reçu il y a vingt ans, dix-huit ans, je ne sais plus, quinze ou vingt mille euros pour un projet en Afrique, on a utilisé… Enfin bon, voilà.

De la part d’une des fondations de Soros ?

Oui, voilà. Soros n’est pas un ami. Je ne lui ai jamais parlé, je l’ai croisé très fugitivement dans une conférence. Il a été d’un altruisme incroyable au moment de la chute du mur de Berlin [en 1989], il faut s’en souvenir, toute la société civile post-chute du Mur a pu se structurer grâce à lui. On peut discuter des choix de la politique de Soros. Il y a eu un papier dans Valeurs actuelles, il y a quelques années, où Soros était caricaturé, dans une logique parfaitement antisémite.

Oui, parce qu’il est juif Hongrois d’origine.

Parfaitement antisémite, donc le seul sentiment qui s’impose, c’est la nausée.

Donc, il vous a donné une fois vingt mille euros ?

Oui, je crois, dans mon souvenir, oui… Ou peut-être sur un autre projet… Je ne me souviens plus. Mais enfin, à supposer que… Quel est le sujet ? Il n’y a aucun sujet. Une grande fondation philanthropique, voilà… Mais on a toujours été très vigilants.

William Bourdon, vous êtes pour beaucoup dans la création de Pplaaf, la plate-forme des lanceurs d’alerte africains. Au niveau mondial, est-ce que ces lanceurs d’alerte, dont le plus célèbre [Edward Snowden] est protégé aujourd’hui par Vladimir Poutine, ne sont pas cantonnés en Afrique et en Occident ? Et est-ce qu’à l’heure de la guerre en Ukraine, ils n’affaiblissent pas le camp des démocraties face aux grandes autocraties, comme la Russie et la Chine ?

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