Contre La sansure

Guinée : face à un Doumbouya tout-puissant, les opposants réduits à la peur et au silence

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Disparition d’opposants, manifestations et médias interdits : quatre ans après le coup d’État, les opposants à Mamadi Doumbouya dénoncent la mainmise du général sur la Guinée, alors que ses soutiens louent l’engouement qu’il susciterait, à l’approche d’échéances électorales cruciales.  

Quand ils n’accrochent pas des affiches saluant les “réalisations” du général, les groupes de soutien, menés par des activistes, des hauts fonctionnaires, des personnalités politiques ou religieuses, n’hésitent pas à organiser des manifestations “pour la continuité”. Comprendre : pour que Mamadi Doumbouya reste au pouvoir. Ces processions font elles aussi grincer des dents… alors que toute manifestation est interdite depuis mai 2022.

“On oblige les citoyens à venir à ces manifestations en leur donnant cinq euros”

Alseny Farinta Camara, directeur de l’ONG anticorruption Renade,

Pour notre Observateur Alseny Farinta Camara, directeur de l’ONG anticorruption Renade, elles démontrent un changement de stratégie des soutiens de la junte, à la suite du drame de Nzérékoré : le 1er décembre 2024, une bousculade, lors d’un tournoi de football organisé par et en l’honneur de la junte et de son leader, a fait  56 morts selon le bilan officiel, plus de 140 selon les défenseurs des droits humains de la région. Des officiels sont accusés d’avoir percuté des spectateurs dans leur fuite.

Après Nzérékoré, le gouvernement a changé de stratégie pour mobiliser les acteurs politiques, les artistes, les chefs religieux en faveur du général Doumbouya, incitant chacun, dans sa préfecture, dans sa région, à organiser des marches dites “de la paix et de l’unité nationale ».

Sur la base des informations que nous avons reçues, ces manifestations de soutien reçoivent des fonds venant de l’administration publique. On oblige les citoyens à venir à ces manifestations en leur donnant des t-shirts et une somme de 50 000 francs guinéens, ce qui représente 5 euros.

Vincent Foucher, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, précise : “Tous les hommes d’affaires, tous les gens qui étaient des bailleurs du RPG [le parti d’Alpha Condé précédemment au pouvoir, NDLR] participent au financement de ces cérémonies, matches de football et autres concerts ou chants traditionnels en l’honneur de Doumbouya. C’est une façon de faire oublier le fait qu’ils ont été très associés au régime précédent”.

Interview Vincent Foucher
Vincent Foucher, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest.

 

Ousmane Gaoual Diallo rétorque que “le gouvernement n’a ni organisé, ni financé ces manifestations”. Selon lui, “ces accusations visent à délégitimer l’engagement sincère de nombreux Guinéens” en soutien à la junte.

Une voiture offerte en échange du soutien à Doumbouya ?

En bientôt quatre ans, la junte a en tout cas su enrôler nombre de soutiens. Le gouvernement actuel est dirigé par Bah Oury, issu de l’UFDG, le parti de Cellou Dalein Diallo, opposant à l’ancien président Alpha Condé et de la junte. Plusieurs cadres de ce parti en ont été exclus pour avoir affiché leur soutien aux nouvelles autorités. De même pour des cadres du parti d’Alpha Condé, l’ancien président, aujourd’hui en exil. Vincent Foucher explique : “Dans les grands partis, il y a toujours des factions un peu perdantes ou marginalisées, et la junte est une chance pour des gens, qui étaient dans ces factions, de se faire valoir. Il y a des gens qui se disent : au fond, cette junte, elle est incontournable, elle a besoin de partenaires civils et politiques, on peut y aller pour essayer de la mener dans une direction meilleure ou moins pire”.

Outre les politiques, des activistes et des journalistes ont aussi rejoint l’exécutif. Alseny Farinta Camara dénonce :

Aboubacar Condé, Lamine Mognouma Cissé, qui hier dirigeaient un média critique, Djoma Media, aujourd’hui se retrouvent à gérer une plateforme [de communication], Guinée GOUV ,  du gouvernement. Le ministre de la Culture, Moussa Moïse Fila, c’était un journaliste très critique vis-à-vis du régime d’Alpha Condé et même des débuts de CNRD [Comité national pour le redressement de développement, nom officiel de la junte, NDLR]. 

Contactés par notre rédaction, les trois journalistes ont répondu. Aboubacar Condé rétorque qu’il “ne fait pas partie du gouvernement” : “Je suis coordinateur d’un service qui s’occupe de la production sur les réalisations faites par les autorités,” précise-t-il. Lamine Mognouma Cissé répond : “Je suis toujours journaliste. C’est pourquoi je me bats au quotidien pour exercer mon métier, à travers mon site mosaiqueguinee.com, mon magazine économique Émergence, et le journal hebdomadaire Le Punch”. Le ministre de la Culture, Moussa Moïse Sylla, assure pour sa part avoir “librement choisi, après dix années d’engagement dans la presse, de mettre [son] expérience au service de la République aux côtés du président Mamadi Doumbouya”.

La junte a su enrôler d’anciens opposants, mais elle cherche aussi des relais d’opinion dans tous les secteurs. Et pour cela, elle n’hésite pas à offrir des rétributions matérielles à ceux qui affichent leur soutien, et elle ne s’en cache pas. En mai, des religieux des villes de Boké et de  Kamsar  se sont vu offrir des voitures par l’exécutif, au nom du président. Des chanteurs, comme Singleton, Oudy Ier, Camara Mousto, Johanna Barry, qui affichent tous des centaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux, se sont ces derniers mois pris en photo avec d’imposantes voitures, en remerciant le président Doumbouya pour sa générosité.

En février 2025, l’opposant Abdoul Sacko est enlevé chez lui : les vidéos de son domicile montre le plafond de sa terrasse défoncé, c’est par là que sont entrés ses ravisseurs, assurent les témoins. Le 20 juin, c’est l’avocat Mohamed Traoré qui disparaît.

Abdoul Sacko et Mohamed Traoré ont été relâchés le lendemain de leur enlèvement, retrouvés couverts de blessures et de traces de torture. Il n’y a, depuis le jour de leur enlèvement, aucune information concernant les quatre autres hommes disparus.

Des témoins ou les proches des personnes enlevées racontent des procédés similaires, évoquant pour plusieurs d’entre eux la présence d’hommes en uniforme de gendarmerie lors des enlèvements : “Un pick up de la gendarmerie a fait irruption devant son véhicule, l’a intercepté. Des gendarmes sont descendus et donc ont cassé le pare-brise de son véhicule. (…) Ils l’ont  tabassé à coups de matraque. Ils l’ont assommé. Ils l’ont enlevé dans un état d’inconscience, selon en tout cas les explications des témoins de la scène” rapporte  Alpha Madiou Bah, collègue d’Habib Marouane Camara au périodique Le Révélateur. L’épouse du journaliste, enceinte lors de son enlèvement, continue aujourd’hui de se mobiliser pour sa libération.

Les autorités assurent n’être pour rien dans ces enlèvements. Ousmane Gaoual Diallo nous répond ainsi : “Le gouvernement a demandé que la justice fasse toute la lumière, dans un cadre strictement légal. Aucune structure étatique n’a été mandatée ni impliquée dans de tels actes. Nous n’avons aucun intérêt, ni politique, ni institutionnel, à ce que de telles situations se produisent. Le respect des droits humains et de la dignité de chacun reste au cœur de notre engagement. Nous voulons la vérité, comme les familles, et nous ferons tout pour qu’elle émerge.”

“Avec un petit groupe, nous avons développé un cercle de confiance”

Dans l’émission des Observateurs, Lansana (pseudonyme), un activiste qui se dit lui-même menacé d’enlèvement, raconte comment il a adapté son quotidien face à la menace :

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