« La corruption se nourrit des situations d’exception » (Samuel Kaninda)
Dans cette interview, le conseiller régional Afrique de l’Ouest et du Centre à Transparency international aborde le rapport sur l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2022. Samuel Kaninda revient spécifiquement sur les résultats des pays africains. L’expert explique également le score de la Guinée resté inchangé en dépit de l’engagement des autorités de la transition de lutter contre la corruption à travers la Crief. Lisez…
Afriquotidien.com: Transparency international a publié l’Indice de perception de la corruption (IPC) 2022. Que retenir globalement ?
Samuel Kaninda : ce que nous retenons c’est que la majorité des pays en Afrique restent dans la zone rouge. Ce n’est pas une bonne nouvelle le fait que d’année en année, il semble que les choses ne bougent pas en termes de progrès concret pour que nous ayons une histoire différente à raconter. Les dirigeants sur le continent ont pris des engagements au cours de 20 dernières années, je fais allusion à la Convention des Nations unies contre la corruption, à la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, aux différents protocoles et traités sous-régionaux, mais aussi des engagements pris dans le cadre des initiatives telles que le partenariat pour le gouvernement ouvert, il est important qu’au-delà des engagements pris, que ceux-ci soient traduits en actes. Le fait que les lignes ne bougent pas par rapport à cette perception de la corruption dans le secteur public, avec des pratiques telles que les pots de vin, le détournement des ressources, la mesure dans laquelle l’information est accessible aux citoyens, et aussi les cas de corruption qui sont poursuivis, le cas échéant des actions concrètes soient prises dans ce sens. S’il y a des pays qui ont connu quelques avancées en Afrique au courant des 10 dernières années, ces pays restent toujours dans la zone rouge à l’exception des Seychelles qui à un score de 70 sur 100. Il y a aussi l’Angola, l’Ethiopie, la Tanzanie aussi qui ont connu une amélioration mais tous ces autres pays restent en dessous de la moyenne. Ceci pour dire qu’il est possible de faire des efforts mais beaucoup d’efforts sont attendus pour que les progrès attendus dans le domaine de la lutte contre la corruption soient palpables, tangibles pour les citoyens qui pourront demander des comptes à leurs dirigeants. Il est aussi important qu’ils aient accès aux instruments leur permettant de tenir leurs dirigeants redevables.
Quels sont les paramètres utilisés pour élaborer ce rapport ?
La méthodologie reste la même. Nous tirons nos données de 13 sources, des institutions bien connues telles que la Banque mondiale, le Forum économique mondial et autres qui ont des représentations ou des interactions directes avec ces pays. Il y a aussi les experts des Think-Thank qui fournissent cela. Je dois aussi en particulier préciser que pour cette édition de l’IPC, nous avons mis l’accent sur la corrélation qu’il y a entre le conflit, l’instabilité et la corruption. Ils s’observent qu’en Afrique que beaucoup de pays sont confrontés à des situations de conflit.
La Guinée a connu aussi ses propres périodes de turbulence. Actuellement, nous avons un régime de transition qui est le fruit d’un renversement du régime qui était en place. Cela veut dire que le contexte fait que la lutte contre la corruption souffre. Et que la corruption elle-même se nourrit des situations d’exception, de conflit, d’instabilité parce qu’il est difficile dans ce genre de situation de gouverner selon les strictes principes de la bonne gouvernance, de transparence et de redevabilité. Quand la corruption n’est pas sous contrôle, ça crée de frustrations, de restriction des libertés, de la mauvaise gouvernance qui poussent ceux qui, par exemple dans le cas de la Guinée, du Mali et du Burkina, s’estiment à mesure d’imposer de changement de régime par des voies non démocratiques. Pour que la lutte contre la corruption soit efficace, il est important qu’il y ait une gouvernance transparente et inclusive, où les citoyens ont accès aux informations sur la gestion de la chose publique, pas seulement sur la gestion des ressources financières, mais aussi comment les décisions qui les affectent aussi sont prises et la transparence des processus électoraux et de nominations dans les postes de responsabilité publics. Dans l’espace sahélien, notamment, nous avons aussi la montée de l’extrémisme et des conflits armés qui déstabilisent les pays de la sous-région et en même temps créent une situation de non-droit où la bonne gouvernance ne peut pas être appliquée, mettant à mal les efforts de lutte contre la corruption.
Le score de la Guinée n’a pas changé. Comment expliquez cela alors que la junte au pouvoir s’est engagée à lutter contre la corruption en mettant en la Crief ?
Il y a deux choses qu’il faut savoir en termes de perception. D’une part, la perception ne change pas du jour au lendemain. C’est un travail de longue haleine pour que l’expérience avec des institutions notamment le secteur public guinéen puissent changer dans le temps. D’autre part, il est vrai que des initiatives ont été prises dans le sens de la lutte contre la mauvaise gouvernance, l’impunité tant en matière de corruption mais, mettre en place des institutions de lutte contre la corruption, adopter des lois anti-corruption sont une chose et l’efficacité en termes d’application de ces politiques et l’efficacité de la Crief en sont une autre et elle se constate dans le temps. Parce que ce qui s’observe par moment, je ne parle pas du seul cas spécifique de la Guinée, il y a une Cour de Répression de l’Enrichissement illicite au Sénégal, une Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme au Bénin, mais le sentiment général des plus observateurs est que bien que la mise en place de ces institutions soit une initiative louable, mais il y a une tendance à vouloir cibler ceux qui ne sont pas en accord politiquement avec le pouvoir en place. Donc, il y a une perception de politisation qui ternie un peu l’image de ces institutions en termes de leur efficacité.
Quel rôle doit être le rôle de la société civile ?
La société civile doit jouer son rôle de veille, de contrepoids et de contrôle citoyen de l’action publique, de dénonciation de ce qui ne marche pas, et aussi d’encourager ce qui marche. Quant aux médias, ils doivent demeurer dans leur rôle d’information. In fine, la lutte contre la corruption vise à ce que nous ayons une société plus juste, équitable, où les ressources sont accessibles à tous ceux qui y ont droit.
Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo
pour Afriquotidien.com