Le désarroi des jeunes et le rejet des fausses démocraties, partout dans le monde (*)
Le 15 septembre 2023, c’était la journée internationale de la démocratie. Gilles Yabi nous présente quelques données sur la perception de la démocratie en Afrique et dans le monde.
Nous expliquons depuis les débuts de Wathi que la question des institutions politiques est fondamentale pour l’avenir de la région et du continent, et que les changements profonds qui doivent intervenir doivent être pensés à partir de l’examen des pratiques politiques réelles, elles-mêmes indissociables des pratiques économiques et des normes sociales.
Nous sommes actuellement témoins des manifestations les plus visibles de la fragilité des institutions politiques, avec une série de coups d’État militaires. Mais même dans beaucoup de pays qui ne sont pas concernés par des putschs ou des crises sécuritaires, la fragilité des institutions politiques saute aux yeux.
Les sondages de l’institut Afrobaromètre sont toujours très intéressants à décrypter. Les données provenant de 36 pays sondés en 2021/2022 montrent que les deux tiers (66%) des Africains préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement, 78% rejettent les régimes du parti unique et 67% les régimes militaires. 65% approuvent le principe du contrôle parlementaire du président, 67% la liberté des médias et 73% approuvent la limitation du nombre de mandats présidentiels.
Mais ce qu’il faut retenir aussi, c’est que seuls 38% des sondés se disent satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Ils ne sont que 30 % à penser que leur gouvernement fait un travail adéquat pour lutter contre la corruption. Et la statistique peut-être la plus importante à garder en tête est que 53% des Africains sont disposés à approuver l’intervention des militaires, autrement dit des coups d’État, si les dirigeants élus abusent de leur pouvoir. Dans la tranche d’âge des jeunes adultes de 18 à 35 ans, ce chiffre monte à 56%, contre 48% pour les plus de 55 ans.
On retrouve des constats assez similaires à l’échelle mondiale selon les résultats d’une autre enquête d’opinion publiée par la fondation Open Society il y a quelques jours
Tout à fait. L’enquête est basée sur des sondages représentatifs réalisés dans 30 pays de tous les continents, dont 8 pays africains. 86 % des sondés au total disent préférer vivre dans un État démocratique. À la question de savoir si la démocratie est leur système préféré de gouvernement, question qui me semble la plus explicite, 62% des sondés répondent oui. Sur les 30 pays, la Turquie, le Sénégal, le Kenya, la Colombie et le Brésil sont ceux où ce soutien à la démocratie comme meilleur modèle est le plus élevé (79% à 74%) alors que les taux les plus faibles se retrouvent au Japon (50%), aux Émirats arabes unis (47%), en Arabie saoudite et en Russie (35% seulement). En France et en Éthiopie, il n’y a que 60% des personnes interrogées qui préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement, devant les États-Unis, 56%.
Le constat qui devrait le plus faire réfléchir est celui qui concerne les jeunes. 57 % seulement des répondants âgés de 18 à 35 ans – au niveau mondial – estiment que la démocratie est préférable à toute autre forme de gouvernement, contre 71% des plus de 56 ans. 42% des jeunes de 18-35 ans se déclarent aussi favorables à un régime militaire, contre seulement 20 % des répondants plus âgés.
En Afrique comme partout ailleurs, dites-vous, il n’y a pas de rejet de l’idéal démocratique, mais une demande de plus en plus désespérée de démocraties effectives qui produisent des résultats concrets pour les populations
Absolument. Les gens ne veulent pas de démocraties que j’avais qualifiées il y a quelques années de démocraties « kpayo », du nom de l’essence de contrebande qui alimentait le Bénin et le Togo depuis le Nigeria. Les jeunes en particulier ne veulent pas de systèmes démocratiques frelatés et trafiqués au profit d’un cercle restreint de privilégiés. Si les jeunes et les très jeunes urbains s’expriment en manifestant dans les rues dès qu’une occasion leur est offerte, les jeunes les plus pauvres dans les zones rurales sont aux prises avec les besoins humains les plus élémentaires, lorsqu’ils ne sont pas enrôlés dans des groupes criminels ou jetés sur des routes migratoires périlleuses.
Plutôt que de faire croire aux jeunes Africains que la démocratie dans son essence est le problème, on devrait travailler avec eux à la construction de systèmes politiques démocratiques efficaces qu’exige la complexité des défis auxquels notre partie du monde est confrontée.
(*) https://www.rfi.fr/fr/podcasts/Ça-fait-debat–avec-wathi/20230916-le-desarroi-des-jeunes-et-le-rejet-des-fausses-democraties-partout-dans-le-monde