Les trompettes du colonel Doumbouya
La Guinée est un pays charmant, où les citoyens adorent brûler le lendemain ceux qu’ils ont adorés la veille.
L’histoire guinéenne est ainsi jalonnée de partisans zélés, qui sous le président Ahmed Sékou Touré, de 1958 à 1984, ont clamé, haut et fort, être prêts à donner leurs vies pour augmenter celle du Grand Sily. Les mêmes, ont été les premiers à sa mort, suivi d’un coup d’Etat le 3 avril 1984, à descendre dans la rue pour dénoncer le « fossoyeur de la Guinée », saluant le nouveau héros, le colonel Lansana Conté.
Lequel a, lui aussi, été oublié par ses laudateurs à sa mort, en 2008, au profit d’un certain capitaine Moussa Dadis Camara. Ce dernier, à son tour porté au firmament, cette année-là, a été fortement encouragé à « enlever la tenue » et devenir candidat élu. Mais un destin contrarié par l’attentat dont il fut victime, l’écartera au profit du général Sékouba Konaté.
Aux commandes, toujours des hommes recyclables qui passent d’un régime à l’autre, toute honte bue. Des hommes et des femmes très forts, parce qu’ils n’ont aucun amour-propre. Les mêmes, pendant une décennie, ont ainsi chanté les louanges du Professeur Alpha Condé, se « goinfrant » à sa table, avant de passer au légionnaire Mamadi Doumbouya. Ce dernier ira jusqu’à se rendre, le 22 décembre dernier, au mausolée de l’ancien président Lansana Conté, à Bouramayah, en compagnie de l’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté, flatteur de tous les régimes.
Il y a également El-Hadj Sékhouna Keita, notable autoproclamé de la Basse-Guinée, qui a « fait les poches » de tous les présidents guinéens depuis l’indépendance et apporté, à un moment donné, son soutien à tous les leaders politiques, d’Alpha Condé à Cellou Dalein Diallo, en passant par Sidya Touré. Dès lors que les caisses de conversion sont disponibles.
Depuis le putsch du 5 septembre 2021, le légionnaire Mamadi Doumbouya, qui prend goût au pouvoir, est entouré par la même galaxie d’hommes loups. On peut citer dans le staff présidentiel : El-Hadj Thierno Mamadou Bah, son conseiller personnel, hier, conseiller au cabinet du capitaine Moussa Dadis Camara pour des missions occultes. L’homme est connu dans le milieu de la presse locale, c’est l’administrateur du bimensuel Le Défi. Aujourd’hui, il est le fer de lance de toutes les manifestions de soutien en faveur du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), à Dinguiraye, sa ville d’origine.
El-Hadj Thierno Mamadou Bah mène les missions dans cette préfecture pour activer de nombreux prieurs pour la cause du légionnaire président, lui-même se vantant en privé de pouvoir rester sur le tapis de prière pendant une semaine pour maîtriser la conscience des Guinéens, afin d’éviter toutes formes de manifestations contre le CNRD.
Dans cette mission mi-occulte, mi-affairiste, il est souvent assisté par un certain Bocar Ly, ancien pensionnaire de la prison civile de Coronthie, pour avoir détourné l’argent de la société minière Friguia, lui aussi conseiller du chef de la junte au palais Mohammed V. Ami de Tibou Kamara, qui occupait les mêmes fonctions auprès du président Alpha Condé, il sert actuellement de relais pour des messages en direction d’une certaine presse alimentaire guinéenne. Mais selon des indiscrétions du Palais, Bocar Ly, affirme descendre d’une famille d’érudits de Dinguiraye, et croit à un destin présidentiel.
Après tout, comme disent les Guinéens, là où Doumbouya est devenu président, n’importe qui peut devenir président…
Actuellement, Bocar Ly serait la cheville ouvrière des nominations décrétées par le colonel Mamadi Doumbouya. Une position qui lui permet de mettre en place son propre lobby pour l’éventuelle gestion du pays.
Il est à l’aise à n’importe quelle situation. Connu pour sa proximité avec Me Lamine Sidimé, ancien Premier ministre de Lansana Conté, il a abandonné celui-ci après l’avènement du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), au pouvoir en 2008.
Le Conseil national de transition (CNT) a également son « chauffeur de salle » en la personne de son président, le Docteur Dansa Kourouma, connu de tous les Guinéens de par sa démarche mercantile pour bénéficier de l’argent des organisations internationales dans un objectif d’éveiller la conscience des organisations de la société civile. Il n’en est pas à sa première occasion de bénéficier des avantages des régimes d’exception en Guinée. Il a été secrétaire général du CNT, du temps du CNDD du capitaine Moussa Dadis Camara, et rapporteur de la commission de rédaction de la nouvelle Constitution. Dès sa désignation à la tête du CNT, il a convié les jeunes des cinq communes de la capitale à une réunion de concertation. Au cours de celle-ci, il a promis de favoriser le recrutement à la fonction publique pour les diplômés et de confier le curage des caniveaux à ceux sans qualification. L’objectif recherché était de procéder à la mobilisation des jeunes de la capitale pour soutenir la junte qui reste jusqu’à aujourd’hui sans assise populaire.
Au niveau de l’équipe gouvernementale, le démagogue le plus visible est bel bien le garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Alphonse Charles Wright. Avant sa nomination comme au gouvernement, dès les premières heures du CNRD au pouvoir, il a déstabilisé son propre chef, le procureur Sidy Souleymane Ndiaye pour prendre sa place. En exposant sur la place publique, l’audio de condamnation du chef du Front national de défense de la Constitution (FNDC), Oumar Sylla, alias Foniké Mènguè, sur instruction du président déchu. A travers cette démarche populiste, il a bénéficié du poste du procureur général de la République. Aujourd’hui, Alphonse Charles Wright agit avec un zèle sans limites. Il peut mettre en prison toute personne qui s’opposerait à la gestion de la transition par la junte. C’est le cas des proches collaborateurs du Professeur Alpha Condé emprisonnés. Il fait même injonction à la décision de la justice, le cas de l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana en est un parfait exemple. En mission récemment à Genève, en Suisse, il a plaidé pour l’indemnisation des victimes du massacre du stade du 28-Septembre alors que le procès se déroule toujours.
Autre trompette du légionnaire, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, qui se lance dans un exercice sans retenue, en affirmant qu’en un an d’exercice du pouvoir, le CNRD aurait fait plus de recette que les dix années du régime passé. Alors que dans la réalité, les budgets des départements ministériels devant les conseillers du CNT sont revenus à la baisse et que l’inflation est galopante sur le terrain. Le ministre Ousmane Gaoual Diallo ne parle plus de la mise en service de Guinée Télécoms, mais se livre à une attaque en règle contre son mentor, Cellou Dalein Diallo, auprès du colonel Mamadi Doumbouya.
Au niveau de la classe politique, les visages des partisans de circonstance sont connus : Docteur Ousmane Kaba, du Parti des démocrates pour l’espoir (Pades), ancien ministre de Lansana Conté et d’Alpha Condé, connu pour ses critiques à l’endroit du régime déchu dans le cadre de la gestion macroéconomique du pays. Il pensait exploiter sa proximité régionale avec le colonel Mamadi Doumbouya, également de Kankan, en justifiant le coup d’Etat du 5 septembre 2021.
Avec des propos racoleurs, dans le but de profiter de l’absence des grands leaders qui ont un électorat important sur le terrain. Mais son enthousiasme a été refroidi, quand il a été interdit par la junte, de quitter le territoire guinéen. Mais c’est surtout la réalisation d’un premier plateau de débat sur le bilan du CNRD, initié par la Direction de la communication et de l’information de Moussa Moïse Sylla, qui lui a été fatal. Le plateau lui a été interdit par le parrain du palais Mohammed V, le jour même de la réalisation. Avec une instruction donnée de le jeter dans la cour du Palais, dès que Mamadi Doumbouya a constaté sa présence parmi les invités.
C’est pareil pour le leader du Parti de l’espoir pour le développement national (PEDN), Lansana Kouyaté, autre ancien Premier ministre, qui applaudit toutes les actions de la junte militaire. Sa dernière sortie sur le dialogue politique, par rapport aux préalables posés par la troïka sur sa participation, a démontré le vrai visage d’un homme qui veut profiter de l’absence des poids lourds de la politique guinéenne.
Une autre catégorie de courtisans se recrute parmi les artistes qui sont aujourd’hui au nombre de deux sur le terrain à profiter les avantages du parrain : les reggaemen Takana Zion et Elie Kamano. Le premier justifie le bien-fondé du coup d’Etat en présentant Mamadi Doumbouya comme un homme providentiel tout en cherchant des financements pour son groupe Black Mafia. Le second se fait l’avocat des artistes malades auprès du colonel Mamadi Doumbouya. Tout récemment il a bénéficié d’un montant de 1,2 milliard de francs guinéens pour faire face à leurs besoins. Mais ceux-ci attendent encore.
Takana Zion, d’ailleurs, pour rallier à sa cause les Soussou – sa communauté d’origine – s’est mis sous la protection d’El-Hadj Sekhouna Soumah, qui, accueillant le légionnaire Mamadi Doumbouya aux cérémonies de sacrifices de l’ancien président Lansana Conté, n’a pas manqué d’humour en lançant au légionnaire : « Je te conseille et te prie de te méfier des démagogues, des cadres véreux. Et il faut faire la différence entre sages honnêtes et ceux qui font semblant. Je te préviens qu’actuellement même beaucoup ont commencé à faire des sacrifices. »
Dans l’indifférence totale de la communauté soussou, bien que le colonel Mamadi Doumbouya ait donné le prénom du défunt président de la République, Lansana Conté, à son dernier enfant. Après la mort de général Lansana Conté, en 2008, la communauté soussou a soutenu le candidat Alpha Condé proche de la Basse-Guinée, où il a vu le jour. Depuis son renversement, le 5 septembre 2021, les Soussou sont restés indifférents. Ils n’ont montré aucun soutien à l’endroit du légionnaire Mamadi Doumbouya. Quand la chasse aux sorcières a commencé sous le pouvoir de ce dernier, les cadres soussou ont été les premières victimes, comme l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, qui se trouve en détention à la Maison centrale de Conakry.
D’autres cadres soussou sont en exil, comme Amadou Makhissa Camara, ancien directeur national des Impôts, et Malick Sankhon, ex-Directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ceux qui sont restés, sont visés par la justice. Ceux qui dirigeaient les directions des grandes régies financières de l’Etat ont été remplacés par d’anciens exilés en chômage en France, comme Mandian Sidibé, actuel directeur général de l’Office guinéen de publicité (OGP).
La communauté soussou est de nos jours ignorée dans les nominations du colonel Mamadi Doumbouya et elle est reléguée au second plan.
Mais c’est surtout l’arrestation du commandant Alia Camara, considéré comme le chef des opérations du coup d’Etat du 5 septembre 2021, détenu dans un lieu tenu secret, qui crée la méfiance des Soussou à l’égard de Mamadi Doumbouya.
Enfin, dans cette course à la conquête du pouvoir, se trouve, Lamine Guirassy, le président-directeur général du groupe de presse Hadafo Médias. Le jeune homme s’est rendu célèbre à travers l’émission interactive, Les Grandes Gueules, très critique contre le régime déchu, mais devenue la « bouche cousue » de la presse.
Les indiscrétions du Palais font savoir que Lamine Guirassy évolue dans une officine qui préparerait la rédaction d’une nouvelle Constitution, en complicité avec le président du CNT, Docteur Dansa Kourouma, afin d’insérer la candidature indépendante pour donner la possibilité à Lamine Guirassy d’être le candidat du CNRD à la future élection présidentielle.
Cet homme, familier des visiteurs du soir du président Alpha Condé, ancien débrouillard parisien, reconverti dans l’animation radio, est aujourd’hui le parrain de la nomination des journalistes de la presse privée auprès du colonel Mamadi Doumbouya.
Patrick Marchand
In. https://laguineelibre.com/les-trompettes-du-colonel-doumbouya/