Contre La sansure

Riz contre dignité : quand l’État troque la misère contre ses propres déchets

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Conakry, mai 2025. Le Gouvernorat de la Ville de Conakry vient d’annoncer, dans un communiqué officiel, le lancement d’une opération mensuelle intitulée « Riz contre déchets plastiques ». L’idée ? Offrir 5 kg de riz à tout citoyen remettant une quantité définie de déchets plastiques — bouteilles, sachets, chaises ou bidons — à un point de collecte. Sous ses airs de mobilisation écologique, cette mesure révèle, en réalité, une gestion pathétique de la crise environnementale doublée d’une exploitation cynique de la pauvreté.

Car ce qui est présenté comme un programme d’assainissement urbain cache mal une réalité bien plus brutale : la transformation de la misère en outil de gouvernance. À défaut d’un système institutionnel de gestion durable des déchets, la junte militaire au pouvoir instrumentalise la précarité alimentaire pour combler les failles criantes de sa politique urbaine. C’est ainsi que les citoyens les plus vulnérables deviennent des glaneurs de plastique affamés, contraints de fouiller les ordures de leur ville pour mériter un sac de riz.

Il ne s’agit pas ici d’une approche incitative ou éducative. Il ne s’agit pas non plus d’un programme intégré de recyclage, ni d’un véritable changement de paradigme écologique. Il s’agit d’un troc humiliant, d’un marchandage honteux entre la survie alimentaire et la responsabilité environnementale que l’État refuse d’assumer. Dans ce dispositif, le riz devient une monnaie de contrôle, un outil de domination, un cache-misère offert à un peuple dont la dignité est déjà piétinée.

Loin d’interroger les racines du problème — importation massive de plastique, absence de traitement industriel des déchets, défaillance du service public de salubrité — le Gouvernement se contente d’un coup de com déguisé en politique publique. Aucun mot sur la taxation des pollueurs, sur l’encadrement des emballages, sur l’investissement dans des solutions alternatives durables. Rien, si ce n’est l’image folklorique de femmes et d’enfants traînant des sacs de bouteilles vides pour gagner leur ration mensuelle.

C’est donc un double échec : échec environnemental d’abord, car cette opération ne règle rien et ne repose sur aucune infrastructure pérenne ; échec moral ensuite, car elle expose crûment la misère comme levier de politique publique. Il ne suffit pas de mobiliser les citoyens à coups de vivres pour faire croire à une politique d’assainissement. Il faut des choix courageux, des réformes profondes, une volonté de rupture avec la logique du mépris et de l’improvisation.

Au lieu d’être un levier de transformation, ce programme devient le symbole d’un État affaibli, sans vision ni projet, qui gouverne par le ventre et la peur. Et si l’environnement mérite une politique forte, la population, elle, mérite mieux qu’un sac de riz en échange de sa dignité.

Aboubacar Fofana, chroniqueur

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