« S’il y a une constance dans la vie politique de Guillaume Soro, c’est bel et bien l’errance. »
Depuis son divorce en 2019 d’avec le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (ADO), après avoir refusé d’embarquer dans le navire battant pavillon RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) réunifié, s’il y a une constance dans la vie politique de Guillaume Soro, ancien Premier ministre (PM) et Président de l’Assemblée nationale (PAN) de la Côte d’Ivoire, c’est bel et bien l’errance.
Et après s’être passée à l’intérieur du pays à travers des visites incessantes de Soro chez les challengers de ADO, cette errance politique s’est internationalisée et facilitée en cela, par deux condamnations à prison dont une à vie et assorties de mandat d’arrêt international.
Depuis lors, Guillaume Soro est devenu sans domicile fixe et contraint à l’exil. France, Belgique, Turquie, Dubaï, etc., voilà quelques pays où il a dû « achiler » depuis des années, avant de se résoudre à songer à un probable retour au pays où l’épée de Damoclès judiciaire plane toujours sur sa tête. « A partir d’aujourd’hui, je mets fin à mon exil », a-t-il annoncé le 12 novembre 2023, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux où il paraît amaigri : tête et cou lessivés, regard hagard, proéminence des épaules diminuée, processus de sénilité accéléré, etc. Ce qui achève de convaincre que l’ancien chef rebelle vit les affres de l’exil marquées par une souffrance morale, psychologique liée à la solitude ou à l’absence de la traditionnelle chaleur humaine africaine. « Il m’est pénible de vivre loin de ma terre ancestrale et natale d’Afrique », s’est-il d’ailleurs fendu dans la fameuse vidéo.
Un autre facteur qui pourrait expliquer cette méforme, est probablement le remords lié au mauvais calcul de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle de fin octobre 2020 avec l’espoir de s’adjuger le fauteuil présidentiel suite à un renouveau de la Commission électorale, du Conseil constitutionnel et du fichier électoral ; des perspectives qui ont vite volé en éclats avec les condamnations judiciaires, la répression de la rue par le pouvoir, etc. Il n’est pas aussi exclu que Soro vive actuellement un autre type de remords lié à la naïveté d’avoir cru à une prétendue promesse politique selon laquelle après les deux mandats de ADO, c’est à lui qu’allait échoir en 2020, le fauteuil présidentiel. Que nenni ! La politique a ses raisons que la raison même ignore.
Avec l’actualité marquée par l’annonce par Soro de la fin de son exil, suivie le lendemain de son arrivée au Niger où il a été reçu en audience par le général-président putschiste Tchiani le 13 novembre 2023, tout porte à croire que l’annonce, le 3 novembre, de la tentative de son arrestation le même jour à l’aéroport d’Istanbul par le régime d’Abidjan, relève de la poudre aux yeux et procède d’une véritable théâtralisation de son initiative de revenir en terre africaine. Et dans cette pièce de théâtre, Soro aux allures d’un personnage de vaudeville est le seul acteur qui joue avec lui-même en misant sur la carte de la victimisation pour s’attirer la sympathie de l’opinion surtout africaine. Morceaux choisis : « M. Ouattara a exigé de la France mon arrestation et mon extradition », « il a insisté auprès du gouvernement belge pour que ce pays ne me délivre aucun document administratif qui m’aurait permis d’y résider légalement », « recevant les lettres de créances de l’ambassadeur des Emirats Arabes Unis, il en a profité pour réclamer mon arrestation et mon extradition en Côte d’Ivoire », etc.
L’histoire bégaie souvent et emprunte parfois des chemins obliques
Suivant l’itinéraire de Soro, on peut affirmer au risque de se tromper, qu’il s’est voulu un destin à la Macky Sall qui, après avoir servi le régime de Abdoulaye Wade en qualité aussi de PM et de PAN, a pu s’émanciper de celui-ci avant de le battre à la présidentielle de 2012 grâce au soutien de la société civile et de la classe politique.
Malheureusement, Abidjan n’est pas Dakar et ADO n’est pas Wade. Comme quoi, l’histoire bégaie souvent et emprunte parfois des chemins obliques à celui rectiligne auquel on pouvait s’attendre. C’est dire si Soro a eu une mauvaise lecture politique en pensant que la bourrasque du printemps arabe qui avait tendu ses tentacules jusqu’à Ouagadougou et Dakar pour balayer les présidents Compaoré et Wade pour avoir voulu un énième mandat de trop, était toujours d’actualité et n’épargnerait pas Abidjan. Qu’à cela ne tienne, Soro aura fait preuve d’un courage politique qui s’apparente à la fois à la témérité et à la félonie dont il récolte aujourd’hui les dividendes amers.
Dans cette affaire, on peut toutefois regretter qu’Abidjan n’ait jamais suivi la décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ordonnant la suspension des condamnations prononcées contre Soro pour lui permettre de prendre part à la présidentielle d’octobre 2020. Rien d’étonnant sous nos tropiques où les princes régnants en pareille circonstance, font un pied de nez à toute décision contrariant leur volonté, fût-elle l’émanation d’une juridiction supranationale.
Alors, à l’image du feuilleton Katumbi qui a cristallisé l’attention des observateurs de la scène politique congolaise où le régime de Kabila a exercé des pressions sur la juge Chantal Ramazani Wazuri pour condamner son ancien allié Moïse Katumbi devenu opposant et le contraindre à l’exil afin de l’empêcher de participer à la présidentielle de fin décembre 2018, Soro se trouve condamné à boire le calice de ses ambitions politiques à travers un exil sans fin. Ironie du sort, c’est sur les mêmes sentiers boueux de l’exil que ADO, qui a aussi vécu des vertes et des pas mûres en étant même flanqué dans le coffre d’une voiture pour son exfiltration à l’ambassade de France sous Gbagbo, a marché avant d’occuper la fonction suprême. Comme quoi, la bataille pour le pouvoir est sans merci et vraiment féroce. Et Soro ne pouvait que s’attendre à ces poires d’angoisse politique qu’il avale actuellement et qui passent difficilement à travers sa gorge. En somme, l’errance politique et la méforme de Soro constituent la rançon de sa bravade politique au président ADO.
Maintenant que la messe est dite et que la lune de fiel continue entre ADO et Soro après leur lune de miel politique, ce dernier osera-t-il aller au bout de sa logique de rentrer au bercail en foulant le sol ivoirien au risque d’être alpagué et passé sous les fourches caudines de la Justice ivoirienne ? Ou continuera-t-il plutôt son errance en poursuivant son exil dans l’un des pays du triumvirat Bamako-Ouaga-Niamey dont les rapports avec Abidjan sont visiblement exécrables ? Les jours à venir nous le diront. On se pourlèche les babines…
CBS L’iconoclaste
L’écrivain chroniqueur